Les non-vertus de l’extractivisme local

Les non-vertus de l’extractivisme local

Simon Brisard

Raffinerie du port d'Anvers, octobre 2024
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

La question de la transition énergétique est de plus en plus centrale, et les différentes réponses qui y sont apportées portent des projets de société bien différents. L’électrification massive, souvent présentée comme réponse ultime à la transition énergétique, ne différencie pas le luxe de la subsistance. Elle conduit donc à d’importants besoins en minerais, notamment en lithium pour les batteries, et à un extractivisme débridé. En réponse à cela, l’ouverture de mines en France et dans l’UE permet aux officiels et aux entreprises de dérouler une communication autour d’un extractivisme relocalisé, « vert » et « responsable ». Le sujet étant complexe, les sphères écolos s’interrogent sur ces potentielles vertus écologiques, et également décoloniales. Mais ces dernières sont rapidement écartées quand on considère les pollutions des eaux et des sols inhérentes aux procédés techniques, la logique capitaliste dans laquelle se fond l’extractivisme et la non-intention de quitter les pays du Sud global exploités jusqu’à présent. L’extractivisme est une pratique à laquelle une opposition internationale existe de manière structurée, et l’Histoire prouve qu’un projet minier sera nécessairement néfaste sur le plan écologique, social et éthique. 

[...] l’Histoire prouve qu’un projet minier sera nécessairement néfaste sur le plan écologique, social et moral.

Banderole "Reprenons la terre aux machines" lors d'une action contre ST Microelectronics et l'accaparement de l'eau, Grenoble, avril 24
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Extraire français donne un faux air décolonial

Les projets d’ouverture de mines en France ou dans l’UE semblent semer la confusion au sein des milieux écologistes, qui leur attribuent parfois des vertus écologiques voire décoloniales.  L’ouverture de mines de lithium en France, et plus généralement dans l’UE, apporte de la cohérence au discours de décarbonation par l’électrification, et rassure vis-à-vis d’une souveraineté énergétique recherchée [1]. Vue par nos dirigeant.es et les entreprises, la transition énergétique prend la forme d’un cumul d’énergies au service d’une croissance qui ne ralentit pas, et le lithium est une des ressources centrales dans cette stratégie énergétique et politique. Ouvrir une mine en France ou en Europe ne signifie donc pas la fermeture d’un puit de pétrole ou d’une mine ailleurs dans le monde, mais simplement l’exploitation d’un nouveau gisement. 

Si ce discours est déjà fortement critiquable en matière de transition énergétique, il ne permet certainement pas de résoudre notre dette écologique et coloniale [2] vis-à-vis des pays des Suds exploités jusqu’à présent : Chili, Argentine, Bolivie, Brésil, Zimbabwe, etc. En effet, abandonner les sites exploités ne suffirait pas pour répondre à la dette écologique et coloniale. Cette réflexion doit inclure la réparation des écosystèmes, mais aussi celle des violences subies par les populations : exploitation, expropriations et dommages symboliques perpétrés pendant des décennies. 

Les enjeux stratégiques de transition énergétique perpétuent un extractivisme qui exacerbe les rapports de domination. Le positionnement de l’UE sur la question de la reprise par Rio Tinto du projet de mine de lithium de Jadar (Serbie) en est un bon exemple. En effet, l’UE se focalise sur la mobilité électrique, et sur la concurrence au marché chinois du véhicule électrique qu’incarne l’industrie automobile allemande [3]. Cela se traduit par la visite à Belgrade du Chancelier allemand Olaf Scholz et du Vice-président de la Commission européenne Maroš Šefčovič, une semaine après l’autorisation de reprise de la mine. Cette visite a eu pour but de signer un partenariat stratégique avec le gouvernement Serbe sur l’exploitation du lithium, alors même que la Serbie n’est pas dans l’UE et que les protestations sont très fortes localement [4]. Le discours que Stéphane Séjourné, vice-président exécutif chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, a prononcé en décembre 2024 à Bruxelles est lui aussi évocateur. Il y affirmait que « l’Europe ne peut pas et ne veut pas atteindre une autonomie totale sur les matières premières. Bien au contraire, nous devons continuer à tendre la main au monde », qui peut s’interpréter par un colonialisme moderne à vocation écologique et souveraine. 

Militant.es lors du désarmement du site de Béton Lyonnais, mars 2024, Décines-Charpieu
Photo : Sarah Levaux | @sarah.lvox

Même local, l’extractivisme s’alliera toujours avec le profit et la destruction

Qu’importe son contexte et ses justifications, l’exploitation de terres rares et de minerais reste destructrice partout, avec un même projet qui consiste à assécher et stériliser la terre pour des intérêts capitalistes, et si possible à exploiter les populations locales. 

Imerys, l’aménageur d’un projet de mine de lithium à Echassière dans l’Allier, se réjouit par exemple que son projet soit soumis “aux normes en matière de responsabilités sociales et environnementales les plus strictes dans le monde”, garantissant “un lithium plus responsable et plus traçable” [5, 6]. Mais le mythe d’une mine écologique et responsable est fallacieux, et insultant pour tous les territoires détruits par l’industrie minière. 

Déjà car, dans les faits, Imerys a pollué des eaux souterraines et de surface au Brésil [7], a été condamnée pour non-respect de la législation environnementale au Québec [8] ou a déversé des eaux chargées de produits toxiques dans un cours d’eau en Bretagne [9]. Plus généralement, les procédés d’extraction entraînent nécessairement des répercussions sur l’environnement. Célia Izoard, philosophe et journaliste spécialiste des nouvelles technologies au travers de leurs impacts sociaux et écologiques, explique qu’une mine « produit infiniment plus de déchets que de ressources, les teneurs en métaux extrêmement faibles » [10]. En matière de pollutions, les procédés techniques et chimiques nécessaires à la récupération des métaux causent, entre autres, des pollutions des sols au plomb et à l’arsenic, des eaux par des acides et autres produits chimiques, et l’asséchement des sols. La logique capitaliste et la préservation des milieux naturels ne sont généralement pas compatibles, et l’industrie minière est très loin d’en être exempte. 

Action sur un site de Schenider Electric, partenaire du projet EACOP, Grenoble, novembre 2024
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Ensuite, Imerys semble conditionner la réalisation d’un projet de “mine durable” et ses prétendues bonnes intentions écologiques à des contraintes réglementaires, particulièrement présentes en France à travers le Code de l’environnement. Ce faisant, l’entreprise assume qu’elle a la capacité, notamment technique et financière, de mener des projets différemment. Si cela n’a pas été fait avant et ailleurs, au Brésil par exemple, c’est donc que certains endroits et certaines populations peuvent être souillés. Et/ou que c’est un énième acte de greenwashing, de mensonge et d’abus de confiance, soutenu ouvertement par le gouvernement [11]. 

Raffinerie du port d'Anvers, octobre 2024
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Silos sur le site de Béton Lyonnais, mars 2024, Décines-Charpieu
Photo : Sarah Levaux | @sarah.lvox

L’anti-extractivisme est international et historique

Dans l’Allier, les opposant.es ont conscience des conséquences écologiques d’une ouverture de mine, car leur territoire l’a déjà expérimenté avec l’exploitation d’une mine de tungstène et de kaolin, aujourd’hui fermée. Pourtant, nombreux.ses sont celleux qui, aujourd’hui encore, considèrent que cette mine a eu un impact positif sur leur territoire, normalement en matière d’économie et de dynamisme.  Lutter en 2025 contre le projet de mine de lithium passe aussi par la démystification d’un “âge d’or” en matière de développement local pour Echassière et les communes environnantes, qui ne va de pair qu’avec des pollutions intenses et persistantes. Comme nous vous en avions parlé dans l’article La destruction des entreprises se maintient par le chantage, l’extractivisme ne peut se sauver que par de la communication, des mensonges et une collusion entre des intérêts privés et politiques. 

En plus de cette dimension historique, l’anti-extractivisme porte aussi une dimension internationale forte, et n’est pas dupe face au discours capitaliste de la transition énergétique. Le collectif “Stop mines 03” porte dans son nom – par le pluriel à « mines » – son approche globale de la lutte contre les projets miniers, et défend un “travail internationaliste à faire sur les mines” : “On ne peut pas lutter contre la mine de lithium [dans l’Allier] sans lutter contre les autres mines de lithium dans le monde et d’autres mines d’autres métaux dans le monde” [12]. La cause anti-extractiviste porte donc une approche intersectionnelle et une convergence internationale des luttes, qui ne semblent pas être un objectif mais une caractéristique inhérente. Le “Ni ici, ni ailleurs” et la solidarité internationale font partie de son histoire, de sa constitution et de ses valeurs. Il y a donc une réelle et forte cohésion entre les collectifs qui luttent contre des projets miniers à travers le monde, et une conscience de lutte qui porte intrinsèquement des valeurs internationalistes, décoloniales, anticapitalistes. 

Mobilisation pour la journée des droits des femmes, Lyon, 8 mars 2024
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Sources
  1. Speech at High-level conference at the Raw Material Week. (s. d.). [Text]. European Commission – European Commission. Consulté 30 avril 2025, à l’adresse https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/speech_24_6410 

  2. Sersiron, N. (2017, août 3). Dette écologique: Les externalités de l’extractivisme. CADTM. https://www.cadtm.org/Dette-ecologique-les-externalites 

  3. Rapport spécial 15/2023: La politique industrielle de l’UE en matière de batteries. (s. d.). European Court of Auditors. Consulté 30 avril 2025, à l’adresse http://www.eca.europa.eu/fr/publications/sr-2023-15 

  4. Serbia’s leader wins the West with promises of ‘white gold’—But loses the people. (2024, août 19). POLITICO. https://www.politico.eu/article/serbia-president-aleksandar-vucic-win-west-promise-white-gold-lose-people/ 

  5. Imerys ambitionne de devenir un acteur majeur du lithium en Europe | Imerys. (s. d.). Consulté 30 avril 2025, à l’adresse https://www.imerys.com/fr/media-room/communiques-de-presse/imerys-ambitionne-de-devenir-un-acteur-majeur-du-lithium-en-europe 

  6. Perrinaud, M. (2023, mai 25). Mine de lithium dans l’Allier: Imerys précise les contours de son projet. La Montagne. https://www.lamontagne.fr/vichy-03200/actualites/mine-de-lithium-dans-l-allier-imerys-precise-les-contours-de-son-projet_14315219/ 

  7. Petitjean, O. (s. d.). Une entreprise minière française accusée de semer la désolation en Amazonie. Observatoire des multinationales. Consulté 30 avril 2025, à l’adresse https://multinationales.org/fr/enquetes/les-industries-extractives-et-l-eau/une-entreprise-miniere-francaise-accusee-de-semer-la-desolation-en-amazonie 

  8. (S. d.). Consulté 30 avril 2025, à l’adresse https://www.environnement.gouv.qc.ca/Infuseur/condamnation.asp?no=1256 

  9. Clochard, Y. (2018, janvier 27). Imerys face aux protecteurs de la nature. Ouest-France.fr. https://www.ouest-france.fr/bretagne/glomel-22110/imerys-face-aux-protecteurs-de-la-nature-5530765 

  10. Mine de lithium dans l’Allier: Un projet explosif—Novethic. (s. d.). Consulté 30 avril 2025, à l’adresse https://www.novethic.fr/environnement/transition-energetique/mine-de-lithium-dans-lallier-une-premiere-faut-il-se-rejouir 

  11. Imerys ambitionne de devenir un acteur majeur du lithium en Europe | Imerys. (s. d.). Consulté 30 avril 2025, à l’adresse https://www.imerys.com/fr/media-room/communiques-de-presse/imerys-ambitionne-de-devenir-un-acteur-majeur-du-lithium-en-europe 

  12. Stop mines. (s. d.). Consulté 30 avril 2025, à l’adresse https://vivelasociale.org/les-emissions-recentes/203-stop-mines