Porter la solidarité comme étendard antisystème

Porter la solidarité comme étendard antisystème

Simon Brisard

Militant.es se donnant la main lors de la mobilisation "Rand'eau" contre les mégabassines, Puy-de-Dôme, mai 2024
Photo : Elio | @elio_j

Face à un système capitaliste qui s’immisce dans tous les secteurs de la société, les dynamiques de solidarité semblent savoir résister à la marchandisation et aux intérêts, et à nous extraire des rapports de domination. En cela, elle pourrait devenir, ou redevenir, un outil politique pour faire face à la brutalité et à la méfiance instaurées par notre système politique et les médias. Particulièrement dans la cause écologique et les luttes sociales, la solidarité permettrait activement de contribuer à la préservation des communs, grâce à de la coopération, du soutien et de la mutualité. Aussi, les approches solidaires permettraient de proposer une solution morale à l’éternelle dichotomie liberté individuelle vs engagement collectif qui occupe la gauche, en alliant un épanouissement personnel autant que collectif. 

Face [au capitalisme], les dynamiques de solidarité semblent savoir résister à la marchandisation et aux intérêts, et à nous extraire des rapports de domination.

Cortège lors de la "Rand'eau", mobilisation des mégabassines en Auvergne, Puy-de-Dôme, mai 2024
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

La solidarité comme rempart face au système

Historiquement, la solidarité a été considérée par les mouvements sociaux et ouvriers comme une arme contre le patronat. Au-delà de sa valeur morale, la solidarité était donc un outil politique. Aujourd’hui, dans un contexte de polycrises écologiques, cette notion véhicule souvent un imaginaire post catastrophe climatique, comme après les terribles inondations de Valence en Espagne : des personnes affluant des 4 coins du pays avec vivres et pelles pour aider la population locale à sortir d’un état d’urgence matériel et sanitaire. La solidarité s’imagine donc souvent sous la forme d’une organisation spontanée à la suite d’un événement extrême, ce qui est et sera une réalité et une nécessité compte tenu des événements climatiques extrêmes à venir.  

Dans le cadre d’une écologie radicale et opposée au système établi, une solidarité plus politique est amenée à se développer, en adoptant des représentations qui sont plus organisées, intentionnées et durables dans le temps. On la retrouve par exemple fortement au sein des dynamiques des ZAD, qui ne peuvent souvent tenir que grâce à des formes de coopération, de mutualité et de réciprocité, sur site et avec l’extérieur, qui relèvent d’une solidarité autant matérielle que psychologique. C’est aussi le cas dans des réseaux et collectifs d’actions concrètes, comme le Réseau d’Autodéfense Juridique collective (RAJCOL), qui considère que “la solidarité est leur [notre] arme !”. En mettant en réseaux des structures qui agissent contre les violences et la répression policières, ce dernier permet d’accompagner concrètement des personnes et collectifs victimes et met à disposition des conseils pratiques et des ressources juridiques pour savoir faire face aux forces de l’ordre et leurs procédures.  

Cortège lors d'une mobilisation contre la réforme des retraites, Lyon, janvier 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Syndicaliste CGT lors d'une mobilisation contre la réforme des retraites, Lyon, juin 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

La solidarité peut suppléer l’Etat dans la préservation des communs

La question des imaginaires désirables prend de plus en plus de place dans les réflexions autour des questions écologiques, au point d’y devenir centrale. Au sein de ces réflexions, les problématiques de l’habitabilité de la planète et de l’organisation d’une société juste et solidaire sont souvent accompagnées par la question des communs et de leur préservation. Dans ce cadre, beaucoup attendent de l’Etat d’assumer ce rôle d’autorité bienveillante et engagée dans la préservation des ressources, services et valeurs communes. C’est par exemple le cas de l’eau, dont la préservation peut parfois être institutionnalisée. On peut penser aux mécanismes de tarification progressive et solidaire de la métropole de Lyon ou au gouvernement communal de l’eau à Naples (Italie). Si localement ces projets sont intéressants, l’engagement de la puissance publique dans des projets comme les mégabassines de Sainte-Soline ou les projets autoroutiers rend évident les limites de l’Etat quand il s’agit de préserver un bien commun. 

Une solidarité non-institutionnalisée pourrait aussi faire partie intégrante des stratégies de préservation, voire être une valeur commune à développer et organiser. En effet, la solidarité sait s’exprimer en dehors d’une quelconque forme d’institutionnalisation et en dehors d’une approche marchande. L’analyse ou la vie dans des territoires reculés, placés en dehors de l’attention médiatique et politique et souvent éloignés des services publics, montrent que les démarches solidaires viennent compenser l’absence d’institutions. Avec des formes d’organisation variées et des visées pratiques, sociales ou politiques, ces initiatives viennent compenser un réseau de transport défaillant, mettre des moyens en commun, proposer des services d’aide aux personnes en difficulté, apporter de la culture et de l’animation politique, etc. Même si cette solidarité s’est développée sous la contrainte dans ces territoires, dans une logique de subsistance, elle peut servir d’exemple et d’inspiration pour toustes. 

Pancarte "Vous arrachez la vie, on la replante", ZAD de l'A69, mai 2024
Photo : Clément Lopez | @clementlopez.jpeg

La solidarité face à l’individualisme

Les notions d’individualité et de libertés sont omniprésentes dans notre société, et sont importantes à cultiver. Mais le système en place a poussé à transformer l’individualité en individualisme, et à considérer la liberté sous un prisme très autocentré. Les mouvements écologistes ne sont pas épargnés, puisque certaines formes d’organisation et de mode de vie, pourtant écologiques, se construisent en dehors de toute forme d’organisation et de considération supra individuelles. C’est par exemple le cas des démarches écologiques d’autoproduction et d’autoconsommation auxquelles se cantonnent de nombreux foyers. Si cela s’explique en partie par la centralité des valeurs individuelles dans notre société, cela est probablement aussi lié à une fabrique politique et médiatique de la méfiance.    

Pancarte "Eau voleur" lors d'une action contre le golf de Miribel, juillet 2023
Photo : Sarah Leveaux | @sarah.lvox

Les pensées “de gauche” sont et seront toujours attirées par les notions de collectif et de commun. Elles ont donc souvent un positionnement tiraillé entre liberté et épanouissement individuels, et la nécessité de l’action collective pour le bien de toustes. Si tout cela semble souvent s’opposer, la solidarité pourrait permettre d’y mettre du lien, en régénérant de la confiance. De la confiance entre individus, entre classes, entre groupes sociaux. Cette confiance pourrait permettre une ouverture vers l’autre, et donc se décentrer de ses considérations personnelles, et ainsi s’attaquer à tout ce qui est ressenti aujourd’hui comme une entrave à notre liberté individuelle.  

Paysage de montagne, La Clusaz, octobre 2022
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth