Le New Age, fausse route vers une société désirable

Le New Age, fausse route vers une société désirable

Simon Brisard

Panneau "déviation capitalistique", brandi lors d'une mobilisation contre le projet d'A69 | Occitanie, juin 2024
Photo : Clément Lopez | @clementlopez.jpeg

Le New Age est une doctrine qui se base sur un rejet de la modernité et qui fait la part belle aux pseudo-sciences, au développement personnel et à un retour à la Nature [1]. Basés sur des croyances, les pratiques et narratifs qui en découlent portent une forte dimension spirituelle. Considéré comme alternatif et écologique, le New Age a donc su se faire une place au sein de la sphère écologiste. Pourtant, il véhicule des discours de bien-être très subjectifs et ésotériques, en décalage face à un enjeu physique et systémique comme le changement climatique. Ses pratiques peuvent également être compatibles avec une idéologie réactionnaire. Le New Age représente donc un risque, tant sur le plan individuel que sociétal, renforcé par une présence discrète mais profonde au sein de la société. 

Le New Age représente donc un risque, tant sur le plan individuel que sociétal, renforcé par une présence discrète mais profonde au sein de la société.

Mise en scène de militant.es lors d'une action contre ST Microelectronics | Grenoble, avril 2024
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Le New Age et le libéralisme sont alliés dans la dépolitisation

Derrière des idées écologistes, il y a souvent un rejet légitime de la technologie et de l’industrie, qui sont associées à la destruction des écosystèmes, à l’aliénation de nos vies voire à l’effondrement de notre société. Pour dépasser ces constats matériels, ou simplement les supporter, certain.es cherchent à réenchanter leur vision du monde par des approches spirituelles ou mystiques. Cette quête offre un espace personnel, parfois nécessaire pour se ressourcer, ou même mener une révolution intérieure [2]. Dans le cadre du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité, ce travail spirituel peut donc redonner de l’espoir et motiver un élan personnel vers les luttes. C’est tout le propos de la militante écoféministe Starhawk, qui incarne une spiritualité conjointement au service de l’individu et de la cause. D’après elle, “quand on regroupe la spiritualité, l’écologie et la politique, cela peut créer un front de pensée d’une grande richesse, bien plus riche que ces systèmes pris séparément” [3].

Militant.es s'enchaînant sur un pont lors d'une mobilisation de Green Faith contre le projet EACOP | Paris, mai 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

A l’inverse de ce que prône Starhawk, les pratiques du New Age qui se répandent de plus en plus dans la société portent plutôt une connotation individuelle. Cette approche autocentrée peut renforcer les discours très individualistes et dépolitisant véhiculés par notre société libérale et capitaliste. Ce qui explique en partie pourquoi cette forme de spiritualité se développe très bien dans notre société actuelle : car elle ne remet pas en question ses fondements. Le New Age peut en effet casser nos liens avec la réalité matérielle, les rapports de domination et les intérêts qui régissent notre société. Le risque est donc d’extraire l’individu de la notion de commun, au profit d’une démarche individuelle, ou de dynamiques désintéressées des problématiques sociétales. Par son côté alternatif et son rejet de la technologie, le New Age peut également faire écho à certains discours écologiques. C’est par exemple le cas de l’interprétation du mythe du colibri selon Pierre Rabhi, avec son mantra « Faire sa part, ensemble » [4]. Il en a découlé une éthique et un collectif poussant à se désintéresser des problématiques d’action politique et d’organisation sociale.

Face à une problématique scientifique, sociale et systémique comme le changement climatique, le décrochage des réalités physiques, matérielle et sociologiques qui nous traversent est un problème, dont certaines approches spirituelles peuvent être la cause.

Drapeaux du parti "Les Écologistes" et du Parti Socialiste lors d'une manifestation féministe contre le RN | Lyon, juin 2024
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Un narratif que se sont réapproprié.es les politiques

En se désintéressant des problématiques sociales et politiques et en focalisant sur le bien-être individuel, le New Age porte donc une image apolitique. Pourtant, par leur aspect peu révolutionnaire et leur banalisation, les pratiques et la pensée New Age ont pénétré les sphères politiques de tous bords et agrémentent de nombreux discours. De Yannick Jadot à Eric Zemmour, en passant par Edouard Philippe, nombreuses sont les figures politiques qui voient par exemple en Pierre Rabhi un chantre de l’écologie [5].

Les références au New Age sont particulièrement nombreuses au sein du parti les Ecologistes, bien que cela ne soit pas explicitement présent dans leur programme politique. Sandrine Rousseau, Marie Toussaint et la “booty therapy” (thérapie par les fesses) incarnent ce courant mêlant écologisme et New Age [6]. La séance de “booty therapy” organisée lors du lancement de la campagne des législatives 2024 portait un message de « revendication du fait de s’assumer tel que l’on est » par l’expression corporelle [7], mais a fortement marqué par ses références au développement personnel et au féminin sacré. Cette mouvance du féminin sacré questionne car elle est caractérisée par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires comme une mouvance noyautée par des stages non réglementés à but lucratif, voire concernée par des dérives sectaires [8]. Dans les faits, les pratiques commerciales du New Age ciblent particulièrement les femmes [9] et les personnes de gauche, ce qui l’ancre dans l’imaginaire commun surtout dans cette mouvance politique.

Pancarte célébrant "le vivant" lors d'une action La déroute des routes | Valence, novembre 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Danseuses lors de la Magama | Paris, mai 2024
Photo : Alice Bourdelain |@alicebrdln

Pourtant, cette mouvance New Age porte originellement des concepts comme l’essentialisation des genres ou la sacralisation de la Nature, facilement associables à une idéologie réactionnaire. C’est le cas par exemple de l’écospiritualité, qui sacralise la Nature et spiritualise le rapport que les humain.es entretiennent avec elle. En prêtant à certaines choses une réalité “par essence”, cela ouvre les portes au rejet de ce qui n’est pas considéré comme naturel. Dans ce cas, certains narratifs de droite et d’extrême-droite peuvent se retrouver dans cette essentialisation. On peut par exemple penser aux discours des TERF, ces militantes féministes transphobes. Par exemple, le podcast Floraisons, voulant certes « démanteler la civilisation industrielle, sa structure, ses hiérarchies, son idéologie et ses valeurs, pièce par pièce », considère la “théorie queer » comme opposée au « féminisme radical” [10].
Sans basculer dans le contre-courant “anti-spiritualité”, il paraît important de creuser les fondements et de questionner les imaginaires véhiculés par des pratiques qui se proclament comme alternatives, surtout quand elles peuvent être lucratives.

La société est imprégnée de ces pratiques occultes

Le New Age et ses pratiques se retrouvent dans les problématiques qui concernent l’individu et son bien-être, comme la santé physique et mentale, l’éducation, l’alimentation, l’habitat, le rapport à la Nature. Ce sont dans ces domaines que les pratiques et idées qui en découlent se répandent le plus. Parmi les doctrines influentes du New Age, on retrouve l’anthroposophie de Rudolf Steiner, qui est un exemple éclairant pour parler de pénétration de la société par des pratiques occultes. Cette doctrine, qui entremêle les mythes et croyances de Steiner à la réalité, conteste par exemple la théorie de l’évolution ; considère le gui comme un être insensible aux forces lucifériennes responsables des cancers, la terre comme un crâne géant ou le tricot comme une solution pour avoir de bonnes dents [11].

Malgré des fondements absurdes, l’anthroposophie est présente tout autour de nous, sans pour autant que cela ne soit visible. La biodynamie par exemple, est une pratique de production agricole héritée de Steiner, plutôt bien ancrée dans la culture commune écologique, que l’on retrouve dans toutes les épiceries bio derrière les labels Demeter ou Biodyvin. On retrouve également dans ces épiceries bio ou en pharmacie les produits de cosmétique et de santé Weleda, entreprise aux fondements anthroposophiques. La NEF, la banque présentée comme la plus écolo, est également d’inspiration anthroposophique et finance des projets en biodynamie [12].

Danseur.euses lors d'une prestation au cours de La Magam | Paris, mai 2024
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
En première approche, le fond anthroposophique de ces pratiques ne semble être qu’un détail, car leur côté mystique est associé à une dimension écologique et/ou d’épanouissement. Pourtant, les liens avec cette doctrine sont rarement revendiqués, et bien souvent cachés. La lumière est braquée sur les vertus et bienfaits de ces pratiques, qui ne sont pas prouvés et relèvent plutôt de l’auto-proclamation. On peut donc y voir une forme d’abus de confiance des personnes qui se sont laissées tenter ou convaincre. Aussi, compte tenu de l’implantation de l’anthroposophie dans l’économie et la société, son écosystème est puissant et doté de moyens pour développer des produits ou services issus des croyances de Steiner, et les déployer à grande échelle. On peut notamment penser aux écoles Steiner-Waldorf, où la pédagogie basée sur les mythes de Steiner crée un profond décalage à la réalité chez l’enfant [13], ou encore à un médicament contre le cancer, basé sur des vertus guérissantes faussement prêtée au gui [14], pouvant conduire au retard ou au refus de prise en charge de malades. Ainsi, ne pas dénoncer l’anthroposophie et ses pratiques directes ou indirectes banalise, favorise, voire finance indirectement des déviances problématiques.

Il existe donc une ambivalence derrière la spiritualisation de l’écologie, pouvant être un moteur à l’action écologique tout comme le fruit d’une doctrine occulte problématique, et affiliée à des politiques de tout bord. Sans tomber dans un rejet par défaut des pratiques spirituelles, comme sur tous les sujets, vigilance et esprit critique sont donc de mise pour s’y retrouver.

Photo de l'intérieur d'une porte sur la CluZAD | La Clusaz, octobre 2022
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Sources

Article rédigé grâce à un échange téléphonique avec Élisabeth Feytit, créatrice du podcast d’éducation à l’esprit critique Méta de Choc.

  1. Doit-on s’inquiéter de la résurgence des pratiques ‘New Age’ ? (2021, juillet 20). France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-temps-du-debat-d-ete/doit-on-s-inquieter-de-la-resurgence-des-pratiques-new-age-6991365
  2. Barniaudy, C., & Delorme, D. (2022). L’Écospiritualité, opium du peuple ou révolution intérieure pour une transition écologique ? La Pensée écologique, 8(1), 31‑44. https://doi.org/10.3917/lpe.008.0031
  3. Herstory archives (Réalisateur). (2017, mars 31). Herstory Starhawk VOSTFR [Enregistrement vidéo]. https://www.youtube.com/watch?v=fAvoBFDI3q4
  4. Mouvement Colibris. (s. d.). Mouvement Colibris. Consulté 18 octobre 2024, à l’adresse https://www.colibris-lemouvement.org
  5. Yannick Jadot sur X : « L’un des grands précurseurs de l’agroécologie s’éteint. Toutes mes condoléances à sa famille et à ses proches. » / X. (2021, décembre 4). X (formerly Twitter). https://x.com/yjadot/status/1467213992770867204
  6. « Il y aura un bulletin vert aux Européennes» PULSATIONS – discours de Marine Tondelier—YouTube. (s. d.). Consulté 18 octobre 2024, à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=oWpablxqyhw
  7. Marine Tondelier sur X : « La booty therapy, c’est donc une revendication du fait de s’assumer tel que l’on est, d’accepter son physique, d’assumer son histoire, d’appréhender ses émotions et de les libérer dans un espace sain et safe, entouré de personnes bienveillantes. (genre l’inverse de twitter) » / X. (2023, décembre 3). X (formerly Twitter). https://x.com/marinetondelier/status/1731204461492678939
  8. https://www.miviludes.interieur.gouv.fr/sites/default/files/publications/francais/MIVILUDES-RAPPORT2021_web_%2027_04_2023%20_0.pdf
  9. Comment le New Age cible les femmes. (s. d.). Méta de Choc. Consulté 18 octobre 2024, à l’adresse https://metadechoc.fr/podcast/comment-le-new-age-cible-les-femmes/
  10. Réponse aux queer censeurs des écoféministes—Floraisons. (s. d.). Consulté 18 octobre 2024, à l’adresse https://floraisons.blog/reponse-aux-queer-censeurs-des-ecofeministes/
  11. Malet, J.-B. (2018, juillet 1). L’anthroposophie, discrète multinationale de l’ésotérisme. Le Monde diplomatique. https://www.monde-diplomatique.fr/2018/07/MALET/58830
  12. https://www.lanef.com/wp-content/uploads/2021/09/NEF-002-Liste-des-financements-2019.pdf & https://www.lanef.com/wp-content/uploads/2023/02/NEF-002-Liste-des-financements-la-Nef-2022.pdf
  13. Une vie en anthroposophie. (s. d.). Méta de Choc. Consulté 18 octobre 2024, à l’adresse https://metadechoc.fr/podcast/une-vie-en-anthroposophie/
  14. https://iscador.com/wp-content/uploads/2023/01/PF_IAG_CH_DE_fr_1.0_08.2022.pdf