« Je m’en fous de votre planète » : ce sont les mots d’un actionnaire à une activiste lors de l’Assemblée Générale (AG) de TotalEnergies le 26 mai dernier. Lors de cette AG, le groupe faisait pourtant voter sa stratégie climat. Alors que des militant.es perturbaient l’événement et tentaient de bloquer l’accès au lieu, des actionnaires avaient préalablement fait inscrire au vote une contre-stratégie climat, plus juste. Cet acte a suffi pour faire parler « d’activisme actionnarial ». C’est toutefois oublier la sociologie des actionnaires et leurs intérêts.
17 actionnaires de TotalEnergies, représentant 1,5% de l’actionnariat du groupe, ont proposé au vote de l’AG un résolution climat prenant en compte les émissions indirectes de CO2 du groupe dans son bilan carbone, et donc sa stratégie de diminution de ses émissions de gaz à effet de serre. Cette résolution a récolté 30% des votes de l’assemblée, contre 89% pour la résolution climat proposée par le groupe.
L’actionnariat, symbole du capitalisme
Ce moyen d’action reprend les codes bourgeois et libéraux propres à l’actionnariat et tente de les adapter aux considérations écologiques. Paradoxe, quand l’un des piliers de la lutte écologique est le changement de système, et particulièrement du système économique.
Car n’oublions pas ce qui se cache derrière TotalEnergies :
- Des grands actionnaires : banques, fonds de gestion, assurances qui partagent des intérêts communs avec TotalEnergies, en matière de rentabilité, de fiscalité, de droit, etc.
- Des petits actionnaires bourgeois à côté de la plaque, qui dénigrent notamment celles et ceux dont iels exploitent la force de travail ou insultent des élu.es.
- Un conseil d’administration (CA) élu par les actionnaires, pas par hasard : personnalités haut placées dans des institutions influentes ; DG et administrateur.rices d’autres groupes. TotalEnergies a donc su placer au sein de son CA les bonnes personnes pour préserver sa stratégie extractiviste et sa gouvernance malhonnête.
Crédit photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Une faculté d’action illusoire
La législation française impose de peser au moins 0,5% du capital d’une firme pour proposer une résolution au vote de son AG, soit 675 M€ pour TotalEnergies. Ainsi, des « petit.es actionnaires », même groupé.es, peuvent difficilement faire entendre leur voix et leurs propositions au sein du CA.
Et si des actionnaires réussissent à faire inscrire au vote une résolution, cette dernière n’est que portée à la connaissance des membres de l’assemblée générale.
Ainsi, les actionnaires n’ont aucun réel potentiel de contrainte sur la stratégie d’entreprise : le CA étant le seul organe compétent à ce sujet.
De plus, Patrick Pouyanné – PDG de TotalEnergies – a aussi appelé ses actionnaires à voter pour la résolution du CA, présentant l’autre comme « contraire aux intérêts […] des actionnaires ».
Une authentique bifurcation du groupe TotalEnergies est donc restreinte au bon vouloir de son Conseil d’Administration.
Crédit photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
L’État poussé à réagir
La contre-résolution climat – et son score surprenant de 30% des votes – mais surtout la forte mobilisation militante sur les lieux de l’AG ont accentué la pression sur le groupe.
Le clivage entre la société civile et les actionnaires du groupe a notamment pu être présenté au grand jour, au travers d’échanges irrationnels. « Vous n’avez pas de voiture ? Vous ne prenez jamais l’avion ? Comment faites-vous ? »
Suite à cette AG et aux événements de la journée, la ministre de la Transition Energétique Agnès Pannier-Runacher a incité le groupe à intensifier sa transition vers le renouvelable. Aussi, la Première ministre Elisabeth Borne a reconnu que « les militant.es pour le climat sont dans leur rôle d’alerter ».
Il est cependant difficile d’estimer la portée de ces événements et prises de position. Malgré tout, la dissolution des Soulèvements de la Terre moins d’un mois après cette sortie d’Elisabeth Borne montre clairement que l’Etat poursuit dans la logique de répression des mouvements écologistes.
Sources :
« activisme actionnarial » : TotalEnergies, Carrefour… Le climat, nouveau champ de bataille des assemblées générales d’actionnaires. (2023, mai 26). La Tribune. https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/le-climat-nouveau-champ-de-bataille-des-assemblees-generales-d-actionnaires-963622.html
0,5% du capital » : Article R225-71—Code de
commerce—Légifrance. (s. d.). Consulté 13 juin 2023, à l’adresse
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000047621660
Valorisation de TotalEnergies : 135 306 M€ au 13/06
TOTALENERGIES Cours Action TTE, Cotation Bourse Euronext Paris—Boursorama. (s.
d.). Consulté 13 juin 2023, à l’adresse https://www.boursorama.com/cours/1rPTTE/« portée à la connaissance » : Article L225-105—Code de commerce—Légifrance. (s. d.). Consulté 13 juin 2023, à l’adresse
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000023217113?dateVersion=13%2F06%2F2023&nomCode=Rg8KwQ%3D%3D&page=1&pageSize=100&query=port%C3%A9+%C3%A0+la+connaissance&searchField=ALL&searchType=ALL&tab_selection=code&typePagination=ARTICLE&typeRecherche=dateDéclaration de Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition Energétique : Energies renouvelables : TotalEnergies doit « se réinventer » sinon il n’aura « aucun avenir », selon Agnès Pannier-Runacher. (2023, mai 26). Franceinfo. https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/crise-climatique/energies-renouvelables-totalenergies-doit-se-reinventer-sinon-il-n-aura-aucun-avenir-selon-agnes-pannier-runacher_5848985.html
Déclaration d’Elisabeth Borne, première ministre « »les militant.es pour le climat sont dans leur rôle d’alerter » : https://www.dailymotion.com/BFMTV. (2023, mai 26). Assemblée générale de TotalEnergies à Paris : Pour Élisabeth Borne, les militants « sont dans leur rôle d’alerter » – Vidéo Dailymotion. Dailymotion. https://www.dailymotion.com/video/x8l9rd9