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La stratégie du flanc radical :
comprendre son rôle et ses enjeux

La stratégie du flanc radical :
comprendre son rôle et ses enjeux

Clément Lopez

Cortège enfumé par les gaz d'une lacrymo lors de la manifestation du 1er mai, Lyon, mai 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

La stratégie du flanc radical repose sur l’idée que les actions et revendications d’un groupe militant radical servent à rendre celles des groupes modérés plus acceptables et entendables. Andreas Malm résume ainsi cet effet dans son livre Comment saboter un pipeline : « les premiers portent la crise jusqu’à un point de rupture tandis que les seconds y proposent une issue ». Pourtant, les oppositions à ce flanc radical sont nombreuses, au sein même des sphères progressistes et écologistes, alors que la droite et l’extrême en usent et en abusent. 

« les premiers portent la crise jusqu’à un point de rupture tandis que les seconds y proposent une issue » Andreas Malm

Irruption et sabotage des installations de l'exploitation d'une gravière, région de Toulouse, juin 2024
Photo : Elio | @elio_j

Le flanc radical prépare le terrain aux actions modérées

En élargissant les limites des méthodes de lutte et modifiant la perception du débat public des actions radicales et modérées, les militants radicaux accroissent le soutien aux actions et revendications perçues comme plus modérées. Ce mécanisme s’appuie sur une logique comparable à la fenêtre d’Overton. 

Afin de garantir l’efficacité de cette stratégie, il est nécessaire d’avoir une distinction, à la fois spatiale et temporelle, entre les actions radicales et modérées. Cela permet au groupe identifié comme modéré de conduire les négociations et avancées nécessaires sans être éclipsé par les controverses autour du mouvement radical. 

L’histoire des mouvements sociaux comme la lutte pour les droits afro-américains aux Etats Unis prouve aujourd’hui l’efficacité de la stratégie du flanc radical et fait consensus chez les experts du sujet. Néanmoins elle peine encore à s’établir dans les luttes et laisse souvent place à des querelles internes. 

Mobilisation de sensibilisation à l'action face au changement climatique, organisée par Alternatiba, Lyon, février 2022
Photo : Clément Lopez | @clementlopez.jpeg
Cortège de manifestation faisant face à un barrage policier, Lyon
Photo : Pierre Fimbel | @pyr_fbl
Irruption sur un site d'Arkema pour un désarmement, Lyon, mars 2024
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Le flanc radical écologique prend forme

Après des décennies de lutte écologiste, les trajectoires climatiques sont toujours alarmantes et nos sociétés semblent encore bien loin d’un changement de paradigme. Dans ce contexte nous constatons que les approches modérées comme les manifestations, le lobbying institutionnel ou encore la désobéissance civile non-violente ne suffisent pas à instaurer un rapport de force. 

Ce constat conduit à un glissement stratégique : reconnaître que l’urgence impose une radicalisation des moyens. Andréas Malm parle dans son livre d’un “niveau de réceptivité des actions radicales” qui évolue avec le temps dans un sens ou dans l’autre. Dans le cas du climat, ce niveau de réceptivité augmente de facto car la situation se dégrade. 

Les mouvements comme Extinction Rebellion, pourtant fondé sur des principes de non-violence très explicites, semblent partager ce constat. Iels intègrent aujourd’hui des formes d’action plus radicales, comme le sabotage, dans leur répertoire d’actions et en nuançant leur communication sur le principe de non – violence : “Cela ne signifie pas que nous cautionnons toute violence, mais simplement que nous comprenons qu’elle soit justifiée dans certains cas.” [1] 

Les critiques de l’effet du flanc radical

La stratégie du flanc radical fait face à de nombreuses critiques, répandues dans les milieux conservateurs et même progressistes.  Selon eux, les méthodes radicales provoquent une répression accrue ainsi que des réactions médiatiques et publiques négatives, au détriment de la lutte.   

Par exemple, François Gemmene, chercheur au GIEC, témoignait dans l’Echo qu’une frange « radicale ultra minoritaire […] infiltre » le mouvement climatique pour y valider ses « thèses féministes et anticapitalistes », le mouvement climat se « craquelle[rait] » selon lui [2].  
Hugo Clément ne s’était pas non plus fait prier pour critiquer la stratégie du collectif Just Stop Oil et les militantes qui avaient aspergé de soupe la vitre d’un tableau. Il avait twitté sur X (Twitter) “Ce ne sont pas des « militants écologistes », ce sont des imbéciles” [3]. 

Mais ni Hugo Clément ni François Gemmene ne peuvent affirmer que ces stratégies sont efficaces ou contreproductives. Ce sujet repose sur les sciences humaines, sociales et politiques dont les chercheur.euses spécialisé.es n’ont pas encore pu tirer de conclusion claire. 

La sociologue Dana Fisher, qui a participé à la rédaction du sixième rapport d’évaluation du GIEC, conclut dans un article sur le sujet : “Les données disponibles sur cet activisme, ainsi que sur les liens entre celui-ci et ses effets sur les émissions de gaz à effet de serre, sont limitées” [4]. 

Sabotage d'un chantier de l'A69, région de Castres, octobre 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Désarmement d'une pelleteuse lors d'une mobilisation contre les gravières, région de Toulouse, juin 2024
Photo : Elio | @elio_j

L’extrême droite et les conservateurs n’ont pas attendu la gauche pour se saisir de cette stratégie

Du côté des conservateurs et de l’extrême droite, le décalage de la fenêtre d’acceptabilité est une stratégie qui est fréquemment utilisée.  

Par exemple, les climatosceptiques, qui nient frontalement la réalité du changement climatique, rendent les climatorassuristes plus acceptables dans l’espace public. De même, des discours explicitement racistes et décomplexés facilitent l’acceptation de politiques racistes comme la régulation de l’immigration aux frontières, perçues alors comme des compromis raisonnables. 

Les ultra-riches qui soutiennent l’extrême droite, ont bien compris l’efficacité de cette stratégie et l’adoptent dans les médias dominants. Cyril Hanouna, par exemple, en cultivant la provocation et le sensationnalisme à outrance, contribue à banaliser et dédiaboliser des figures comme Jordan Bardella, qui apparaissent alors comme des alternatives calmes et rassurantes. 

Pancarte brandie lors d'une mobilisation féministe anti RN, Lyon, juin 2024
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Une dynamique complexe mais nécessaire

La stratégie du flanc radical, bien qu’elle provoque des tensions, semble essentielle dans les luttes où l’urgence exige un changement de paradigme. Cela soulève une question, non pas pour critiquer le flanc radical, mais pour recentrer le débat, en particulier dans le cadre de la lutte écologique, déjà bien représentée sur le flanc modéré grâce à des collectifs et associations établis de longue date ainsi qu’à des partis politiques dédiés comme EELV. Dans un contexte où un changement de paradigme devient indispensable, le flanc radical ne souffre-t-il pas d’un manque de soutien ?