Les liens entre lutte pour l’environnement et défense de la santé publique sont de plus en plus marqués. En effet, de nombreux scandales sanitaires sont liés à l’émission de polluants dans l’air, dans l’eau ou dans les sols. C’est le cas par exemple des composants PFAs, ces polluants éternels qui imprègnent notamment la région Lyonnaise. Si la législation française propose de nombreux dispositifs de protection de l’environnement, ces derniers sont bien souvent trop légers et ne mettent que trop rarement en danger les pollueurs. Encore aujourd’hui les avancées législatives semblent toujours bien maigres face aux enjeux écologiques et sociaux.
" [...] le principe de précaution intervient pour prévenir d’un potentiel risque, encore inconnu à ce jour."
Manifestant.es d’Extinction Rebellion et Youth For Climate arrivant devant l’usine d’Arkema, Pierre-Bénite (69), mars 2024
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Un cadre juridique souvent trop vague
En matière de droit français, c’est le Code de l’environnement qui fait figure de référence sur la législation écologique. Il a notamment instauré en 1995 le principe d’action préventive de correction, qui prétend éviter, réduire la portée ou compenser les éventuelles atteintes avérées sur l’environnement et la biodiversité, « à un coût économique acceptable » [1]. Il a également institué le principe de précaution, qui vise à faire adopter aux pollueurs des « mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement » [1]. Là encore, la notion d’acceptabilité économique est inscrite.
Ces principes se basent donc sur une notion subjective du risque environnemental, de son évaluation, de son acceptabilité sociétale et surtout économique. Ce qui pose problème dans leur application.
Banderole « Poison » sur le site d’Arkema, Pierre-Bénite (69), mars 2024
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Militant.es devant le siège d’Arkema avec une banderole : « Arkema pollue nos rivières, nos terres, nos mères »
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Par exemple, le principe de précaution intervient pour prévenir d’un potentiel risque, encore inconnu à ce jour. Il n’impose ou n’interdit rien mais demande d’anticiper quelque situation dangereuse non encore prouvée scientifiquement. Ce qui est intimement lié à l’appréciation de chacun.e, mais surtout à ses intérêts. Pour les partisans d’un progrès technique et technologique par exemple, ce principe n’est rien d’autre qu’une entrave à une course au développement industriel. Et la Justice leur donne raison : selon un rapport de 2013 de l’Agence européenne pour l’environnement, sur 88 jugements considérant que le principe de précaution avait été mobilisé de manière injustifiée, seules 4 situations se sont réellement avérées sans risque pour l’environnement ou la santé humaine [2]. On peut notamment citer la destruction de la couche d’ozone, les pluies acides, les pesticides ou encore le réchauffement climatique comme des situations ayant été considérées à une époque comme ne nécessitant pas de précaution particulière en matière de santé publique et d’environnement.
Le principe pollueur-payeur est décrié
Ce code déploie également le principe de pollueur-payeur dans le droit français [1]. Il est dit dans le texte que « les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ». Ce principe n’envisage donc pas la réparation des dommages causés sur l’environnement, mais préfère essayer d’estimer financièrement le montant de ces dommages, un exercice bien difficile. Ainsi, réduisant les dégâts écologiques à de simples réflexions économiques, il consiste surtout à autoriser des organismes à acheter un droit à polluer.
Rassemblement devant la Métropole du Grand Lyon lors de la visite de P. Pouyanné, PDG de Total Energies, Lyon (69), octobre 2023
Photo : Pierre Fimbel | @pyr_fbl
Pancarte tendue par deux militant.es de XR Lyon devant l’usine d’Arkema, Pierre-Bénite (69), décembre 2022
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Ne pouvant légitimement pas s’en satisfaire, les citoyen.nes et organisations concerné.es militent pour que le principe pollueur-payeur soit traduit différemment dans les faits, notamment sur deux points. Le premier : qu’on ne puisse plus acheter un droit à polluer mais que tous les efforts soient réellement entrepris pour ne plus émettre de polluants dans l’environnement. Le second : que les pollueurs s’engagent à réparer concrètement les dommages causés sur les milieux et les être vivants. Cela passerait entre autres par une réelle restauration et dépollution des milieux, un suivi et un accompagnement des personnes atteintes de pathologies liées aux polluants, etc.
Un nouveau dispositif juridique à l’épreuve des PFAs
Dans la région lyonnaise et avec la Vallée de la chimie, les préoccupations liées aux PFAs sont prégnantes. En effet, sur son site de Pierre-Bénite, la production d’Arkema en gaz fluorés et polymères rejette 3,5 tonnes de PFAs par an [3]. Ces produits ont « une résistance et une durabilité énormes » [4] qui sont leur force dans le monde industriel, mais qui causent surtout des ravages lorsqu’ils se retrouvent dans la nature ou dans le corps humain. On parle de produits cancérogènes, perturbateurs endocriniens, etc. que l’on retrouve dans l’eau courante, la nourriture et même dans le lait maternel.
"On parle de produits cancérogènes, perturbateurs endocriniens, etc. que l'on retrouve dans l'eau courante, la nourriture et même dans le lait maternel."
Durant l’été 2023, le collectif Notre Affaire à tous a donc fait appel au référé pénal environnemental – un outil juridique instauré par la loi Climat & Résilience de de 2021 – pour saisir la Justice différemment sur le sujet des polluants industriels. Cet outil propose en effet d’intenter des mesures rapides et corrélées aux conséquences locales et attestées des pollutions. Les demandes de Notre Affaire à tous étaient de faire cesser rapidement les pollutions, qu’Arkema mène des campagnes de mesures pour évaluer l’ampleur des dégâts, un suivi médical pour les personnes requérantes ainsi qu’une étude des risques sanitaires [5].
Cette demande a été rejetée en première instance et en appel, et confirme une nouvelle fois les inquiétudes liées à l’utilité et l’effectivité du droit environnemental.
Pancarte tendue par deux militant.es de XR Lyon devant l’usine d’Arkema, Pierre-Bénite (69), décembre 2022
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Nos sources
[1] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043975398
[3] https://www.generations-futures.fr/wp-content/uploads/2023/04/014323-01-rapport-pfas-igedd.pdf
[4] https://hpp.arkema.com/en/product-families/kynar-fluoropolymer-family/
[5] https://notreaffaireatous.org/wp-content/uploads/2023/07/V2DP-VDC-2023-2.pdf