[EDITO]
Les Écologistes, problème idéologique ou problème de communication ?

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Les Écologistes, problème idéologique ou problème de communication ?

Simon Brisard

Drapeaux du parti Les Écologistes (anciennement EELV) lors d'une manifestation contre le RN, Lyon, juin 2024
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Invitée sur le plateau de l’émission Twitch mensuelle Ça ira ! du journal L’Humanité, Marine Tondelier a beaucoup fait réagir quand elle a dit qu’il « faudra lui [m’] expliquer ce qu’on fait à la place » du capitalisme [1]. Venant de la secrétaire nationale du parti Les Écologistes, cette réponse a de quoi surprendre. Ou pas selon certain.es. Car le discours d’un parti aussi inhomogène que Les Écologistes, essayant d’unifier les voix allant de Yannick Jadot à Sandrine Rousseau, est difficile à analyser. Quel sens donner alors à cette phrase : la confirmation des manquements idéologiques du parti incarnant l’écologie politique ? Une erreur de communication de sa secrétaire nationale ? Ou au contraire un élément consciemment intégré dans une stratégie de communication ?

Marine Tondelier a beaucoup fait réagir quand elle a dit qu’il « faudra lui [m’] expliquer ce qu’on fait à la place » du capitalisme

Marine Tondelier sur le plateau de l'émission "ça ira!" de l'Humanité

Distinguer le capitalisme économique du « capitalisme d’oppression »

« Je veux qu’on arrête de se branler la nouille avec des concepts, je veux qu’on se dise aussi qu’est-ce que comprennent les gens de ce qu’on raconte ? », voilà ce que répond Marine Tondelier lorsque des questions lui sont posées sur le capitalisme. Son désintérêt des concepts est donc assumé, et justifié par l’accessibilité de la pensée écologique et de l’écologie politique. Car aujourd’hui, l’image d’un parti de riches bobos citadin.es et éduqué.es colle encore et toujours à la peau des Écologistes. Rejeter les « concepts » comme le capitalisme permettrait donc de proposer une politique accessible car vidée d’objets complexes, le réel étant déjà suffisamment difficile. 

Il est vrai qu’en tant que système économique, le capitalisme est un objet difficile à pleinement comprendre et à manipuler. Pour autant, ce dernier fait totalement partie du réel et du quotidien de chacun.e, pas en tant que concept économique, mais en tant que générateur d’oppressions et de destructions. Pour rester proche du réel, une écologie populaire et politique pourrait donc tenter d’armer politiquement tout un chacun face aux ennemis du quotidien, en commençant par mettre des noms sur ce qui cause leurs souffrances et aliénations. Le capitalisme n’est donc pas qu’un concept, et la stratégie de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom ne permet pas de l’appréhender et de s’y opposer pleinement. 

Cortège d'une manifestation contre la réforme des retraites, Lyon, juin 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Pancarte incarnant la notion d'intersectionnalité lors d'une marche féministe contre le RN, Lyon, juin 2025
Photo : Sarah Levaux | @sarah.lvox

Un désintérêt des concepts qui freine l’approche intersectionnelle

Les Écologistes défendent une écologie « pour tout le monde, partout, tout le temps ». Cela se matérialise par exemple dans leur travail sur la représentation des classes populaires au sein de la politique [2], sujet sur lequel Marine Tondelier fait figure d’emblème. Si la diffusion au plus grand nombre de l’écologie est une nécessité, affirmer qu’il y a « 1000 autres entrées que l’anticapitalisme » pour l’écologie peut sembler contre-productif dans les réflexions sur une société désirable.  

En effet, refuser de parler de capitalisme comme le fait Marine Tondelier pendant 25 minutes, c’est brouiller les discussions d’ordre systémique et fermer la porte à l’approche intersectionnelle des oppressions. Dans une situation où un changement global de paradigmes est urgent, il semble important que tout le monde puisse saisir que les rapports de domination au travail, l’élevage intensif et les conditions d’abattage qui les révoltent ou le déclin des services publics ont une cause commune : le capitalisme. Le rejet de cette réalité laisse espérer l’accès à une société écologique, juste et solidaire sans changement de système. 

Le souhait affiché d’unifier les différentes approches de l’écologie, du capitalisme vert de Yannick Jadot aux approches plus radicales que peut incarner Sandrine Rousseau, semble conduire le parti écologiste dans une écologie consensuelle et politiquement inconsistante, et ce depuis des années. De plus, le discours des Écologistes semble maintenir une différenciation des causes d’oppression et de destruction, et entraver la construction d’un monde nouveau.  

Pancarte "Quand c'est fondu, c'est foutu" portée par une militante lors d'une marche pour le climat, 2019
Photo : Sarah Levaux | @sarah.lvox

Une réalité économique qui doit changer dans le monde agricole

Cette interview montre que Les Écologistes ont travaillé leur stratégie de communication, avec une Marine Tondelier déployant un storytelling bien huilé, agrémenté de tournures décomplexées et d’éléments de langage génériques. Au milieu des « L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage », « la transition écologique sera juste ou ne sera pas » ou « l’écologie est indivisible », les propos de la secrétaire nationale du parti défendent avec ardeur la proximité au réel de son parti. A chacune des tentatives des chroniqueur.euses d’amener les discussions sur des considérations systémiques, Marine Tondelier rétorque que les élu.es écologistes font face à des problèmes concrets, ne peuvent pas rester dans la posture et faire de la « politique-fiction ».  

Ce rapport au réel revient à plusieurs reprises, au point de ressembler à un entêtement, qui laisse entrevoir les éléments d’une stratégie de communication pure et dure. En effet, on pourrait imaginer que Marine Tondelier ait profité de questions conceptuelles pour affirmer un positionnement populaire, en proposant une écologie acceptable car plate et sans vague. Cela semble se confirmer à la fin de la séquence, quand Marine Tondelier fait référence à des propositions autour desquelles aurait pu se construire une discussion intéressante et éclairante sur l’écologie et l’anticapitalisme : un ISF climatique, la diminution des écarts de revenus, le développement de l’économie sociale et solidaire, l’abrogation de la réforme des retraites et le secours des services publics et collectivités. Malgré leur nouveau visage, la stratégie politique des Écologistes patine dans une écologie qu’il ne faut pas creuser ou clarifier, mais rendre politiquement acceptable pour le plus grand nombre.  

Pancarte "Capital cannibal" lors d'une mobilisation lors de la réforme des retraites, Lyon, mars 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Panneau de signalisation transformé en "Déviation capitalistique", Toulouse, juin 2024
Photo : Clément Lopez | @clementlopez.jpeg