Thomas Brail est un arboriste-grimpeur et « défenseur des arbres » qui milite pour l’arrêt du projet d’autoroute A69 entre Toulouse et Castres.
Le 26 septembre 2023, il est à son 26ème jour de grève de la faim et il est reçu sur le plateau de France Inter. L’émission est animée par Marie Misset, afin de répondre à une question qui fâche : les grèves de la faim servent-elles à quelque chose ?
Dans un rôle éditorial bien défini, la journaliste Maïa Mazaurette se veut l’avocate du diable afin d’apporter de la contradiction au propos du militant en employant des propos virulents :
Captures d’écran de l’extrait vidéo sur le compte Youtube de France Inter. le 26 septembre 2023 – Les grèves de la faim servent-elles à quelque chose ? La question qui fâche avec Thomas Brail
« C’est un peu enfantin comme manière de mener la lutte, vous n’avez pas peur de passer pour un guignol » « Manifestement, ça n’a pas marché du tout, du tout, du tout »
Le ton choisit pour s’adresser à une personne qui « a mal dans le squelette », selon ses mots, peut questionner et choquer. Néanmoins cela reste un choix éditorial comme un autre et qui défend une position. Rien de problématique, sous réserve que cette position se base sur des faits établis et vérifiables et permet de faire avancer le débat public. Le souci, ici, c’est que ce n’est pas le cas.
Une fâcheuse habitude à défendre le statu quo chez France inter
Rien ne permettait à Maïa Mazaurette d’émettre un tel constat. Elle défend une position qui n’est basée sur aucun fait établi et vérifiable et qui est en réalité une opinion.
Une opinion qui est présentée comme une généralité. « Vous n’avez pas réussi à créer une mobilisation », « Vous l’avez invisibilisée (la cause) par votre action ».
Qui plus est, plusieurs de ses propos s’avéreront démentis par les mobilisations massives qui ont eu lieu les jours qui suivront cette séquence, témoignant du positionnement bancal de la journaliste.
Ligne de CRS sur le tracé de l’A69, Saix, octobre 2023
Photo : Pierre Fimbel | @pyr_fbl
Le principal problème c’est que faire du contradictoire sur ce sujet revient à défendre le faux. C’est comme apporter du contradictoire dans un débat sur « Le réchauffement climatique existe-t-il ». C’est tout sauf un positionnement neutre, c’est un positionnement au profit du statu quo, pour que ne rien ne change. Une habitude qui s’est immiscée chez France Inter et qui a très bien été documentée par Lumi et Usul dans leur émission « Rhinocéros » pour Blast.
Les conservateurs peuvent donc s’identifier aux propos de la journaliste et se conforter dans leur position, même si ces propos sont infondés.
Les sciences politiques, sociales et humaines existent
Comme le climat, les luttes et dynamiques de transitions sociales et politiques sont étudiées sous la bannière des sciences politiques, humaines et sociales. Il y a des chercheurs et chercheuses qui produisent du travail : thèses, articles scientifiques, qui nous informent et nous éduquent sur ces sujets
Johanna Simmeant, chercheuse au CNRS et professeure en science en politique en fait partie. Elle a étudié les grèves de la faim pendant plusieurs années et témoignait pour la revue Vacarme : « il est très délicat de prétendre à une évaluation objective, statistique, des grèves de la faim. » … « Et puis, et surtout, parce que la qualification de l’issue d’une lutte fait partie de la lutte. » En d’autres termes, c’est d’abord et principalement aux militant.es engagé.es dans ce combat de dire si leur action leur a semblé efficace.
Les scientifiques appellent donc à la prudence quand il s’agit de débattre sur l’efficacité d’actions militantes. Par exemple la chercheuse Dana Fisher, autrice du groupe 3 du GIEC et chercheuse sur l’activisme, présente comme limitées les recherches sur le sujet et pointe du doigt le besoin de nouvelles études, dans un article scientifique paru en 2020.
Banderole lors de l’action à l’A69 Toulouse-Castre, Saix, octobre 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Dans un contexte où le débat est volontairement polarisé, qui nécessite donc une position tranchée et sans aucun cadre précis dans lequel les termes de réussite ou d’échec n’ont pas été définis précisément, c’est une perte de temps et d’énergie.
L’idée n’est pas qu’il ne faut plus débattre de l’efficacité des méthodes employées par les militant.es, mais de se donner réellement les moyens de le faire de façon constructive pour le débat public et non de façon réactionnaire comme c’est le cas dans cette séquence.
Nos sources
France Inter. (2023, 26 septembre). Les grèves de la faim servent-elles à quelque chose ? la question qui fâche avec Thomas Brail [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=1uhkRcjsnFc
Brûler ses vaisseaux — sur la grève de la faim – vacarme. (2002, 7 janvier). https://vacarme.org/article229.html
Entretien avec Johanna Siméant sur la grève de la faim — sciences économiques et sociales. (s. d.). https://ses.ens-lyon.fr/articles/entretien-avec-johanna-simeant-sur-la-greve-de-la-faim-88016
BLAST, Le souffle de l’info. (2024, 14 janvier). FRANCE INTER : LA RADIO DES BOBOS DE GAUCHE ? [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=W0rCqgUISS8
Dana Fisher, & Sohana Nasrin. (2020). Climate activism and its effects. WILEY. https://www.researchgate.net/publication/345455893_Climate_activism_and_its_effects