Le « réarmement démographique » qu’Emmanuel Macron a appelé de ses vœux lors d’une conférence de presse le 16 janvier a marqué les esprits au fer rouge. L’infertilité est un réel problème de santé publique et touche en France environ 1 couple sur 4. Il n’est pas question ici de nier ou minimiser ce problème. Non pas parce que repeupler la France devrait être dans toutes les têtes, et les ventres des femmes au service de la Nation, mais bien parce que certains couples souhaitant avoir un enfant ne peuvent pas s’accomplir dans la parentalité comme iels le souhaiteraient. Si ce n’est pas un passage obligé, la parentalité doit pouvoir être accessible au plus grand nombre – c’est-à-dire aussi aux communautés LGBTQIA+ – dans les conditions qui leur paraissent les meilleures. La manière dont l’exécutif a décidé de s’emparer de la question a cependant de quoi interroger, mais les réactions de l’opposition ne sont pas neutres non plus.
"En 2011, seulement 5% des français.es ne voulaient pas d’enfants, un taux stable depuis 30 ans."
Un enfant maquillé et souriant dans la foule lors d’un rassemblement artistique et inclusif, Londres (GB), avril 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
L’opposition s’enferme dans un discours « sans enfants »
Pour préserver les conditions de viabilité de notre planète et assurer aux futures générations un avenir viable sur Terre, il faudrait faire moins d’enfants. Le graphique que publiait l’AFP en octobre 2018 – tiré de Environnemental Research Letters – allait dans ce sens, et il avait beaucoup fait réagir. A lire les commentaires souvent outrés sur Twitter, on comprend bien que l’idée n’a pas le vent en poupe.
En juillet 2019, la sociologue Charlotte Debest, spécialiste de la famille ayant rédigé sa thèse sur les personnes volontairement sans enfants, affirmait que les raisons écologiques étaient en réalité minoritaires dans le choix de ne pas faire d’enfants. En 2011, seulement 5% des français.es ne voulaient pas d’enfants, un taux stable depuis 30 ans. 2023 a été marquée par une chute de la natalité qui a fait beaucoup parler. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, elle est due en bonne partie à la diminution du nombre de femmes en âge de procréer.
Un enfant porté dans les bras d’une manifestante lors d’un rassemblement contre un détournement autoroutier, Saint-Peray (07), novembre 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Les arguments du « climat d’incertitude » et des « inquiétudes écologiques » sont souvent avancés pour expliquer cette baisse. Ils sont indéniables, car sur le plan politique, écologique et social il y a de quoi s’inquiéter. Mais aucune étude sur le sujet ne permet de penser que c’est ce qui explique en majorité la baisse de la natalité. La volonté de s’épanouir dans d’autres dimensions que la parentalité, de nourrir d’autres projets, la liberté du choix de plus en plus plébiscitée, sont autant de raisons personnelles qui peuvent expliquer le non désir d’enfants que les raisons systémiques et extérieures qui sont avancées.
Le discours de l’impossibilité de concevoir un enfant dans un climat politique inquiétant et instable, avec la menace du changement climatique, a été beaucoup avancé par les forces de l’opposition sous toutes ses formes. Politiques des gauches, associations féministes, créateur.ices de contenu politique ont repris à leur compte la rhétorique selon laquelle il paraissait évident que le désir d’enfants était en berne à cause de la gestion catastrophique du monde par les dirigeants. En plus de n’être basé que sur un ressenti, aussi juste et légitime soit-il, ce discours nourrit l’idée selon laquelle les personnes qui s’interrogent sur la marche du monde et tentent de s’opposer aux politiques libérales, racistes ou encore climaticides ne devraient logiquement pas vouloir d’enfants. La rhétorique en devient presque moralisatrice : comment ose-t-on jeter son enfant en pâture à ce monde cruel dont ne subsistera pas un brin d’herbe ?
S’inquiéter de l’avenir n’interdit pas de vouloir des enfants
Les positions de parents responsables et de personnes engagées dans la lutte ne sont pas irréconciliables. Au contraire, la venue d’un enfant peut parfois revêtir une dimension très politique. Dans un article d’Urbania, on apprend via les témoignages recueillis par l’autrice Daisy Le Corre qu’avoir un enfant est une forme d’émancipation et d’affirmation pour les couples LGBTQIA+ par exemple. La question de la responsabilisation qui vient avec le fait d’éduquer un être humain à part entière est aussi évoquée comme une des raisons du choix d’avoir un enfant.
La transmission est aussi un sujet important dans l’éducation d’un enfant. C’est un être humain encore en construction que les parents accompagnent, en lui transmettant des valeurs et des idées. C’est ce que nous explique Mélissa, maman depuis peu qui a accepté de témoigner pour cet article. Les enfants ne pourront pas échapper toujours au formatage que souhaitera leur imposer la société libérale telle qu’on la connaît, mais leur donner les clés d’une pensée critique et un socle de valeurs solides peut apparaître comme un rempart.
Présence de nombreuses familles et enfants lors du Big One, événement organisé par XR UK et qui a rassemblé plus de 80 000 personnes au cœur de Londres, Londres (GB), avril 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Pour Mélissa qui travaille dans l’environnement, la question s’est sérieusement posée de savoir si rajouter au monde un autre être humain qui consomme était une bonne chose. Son conjoint au contraire estimait que c’était leur génération et celle de leurs enfants qui pourraient changer la trajectoire du monde. « C’était mettre beaucoup de pressions sur les épaules de la nouvelle génération. Finalement le compromis ça a été de n’en faire qu’une. » Si Mélissa culpabilise toujours un peu vis-à-vis de ses engagements et qu’elle vit une pression au quotidien, notamment en temps que femme, elle affirme que « c’est incroyable d’élever un petit être, de le construire. C’est une expérience très difficile mais aussi exceptionnelle ».
Le désir ou non d’enfants, une affaire d’État ?
Les réactions dénonçant l’expression de « réarmement démographique » ont été nombreuses et souvent pertinentes. Le vocabulaire guerrier, devenu marque de fabrique de Macron, en guerre contre tout mais surtout contre des chimères, a beaucoup choqué dans ce contexte. Il n’est pas sans rappeler la logique de chair à canon à laquelle répondait l’incitation à faire des enfants durant les périodes de guerres mondiales. Ici, ce n’est pas la guerre que l’on veut soutenir par une politique nataliste, mais bien la machine libérale et productiviste.
Un enfant en face d’une performance artistique sur la polution des eaux, Londres (GB), avril 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Le capitalisme broie les hommes et les femmes, mais il s’en nourrit aussi. Il en a besoin comme il a besoin des énergies fossiles. Pour produire certes, mais surtout pour consommer. Les emplois, les moins qualifiés des chaînes de production et de distribution en tête, sont de plus en plus automatisés et dans les rêves libéraux les plus fous la machine productiviste n’aura bientôt plus besoin que d’une poignée d’humain.es pour fonctionner. Mais pour consommer, rien ne remplacera jamais notre espèce. Pour absorber la masse d’objets inutiles produits sans cesse, il faut des gens qui les consomment, la plupart du temps sans même en avoir besoin. Une natalité en berne, c’est un manque à gagner pour le capital.
"Le capitalisme broie les hommes et les femmes, mais il s’en nourrit aussi."
C’est donc au service du libéralisme que le Président s’inquiète de fécondité. Les menaces sur les droits des femmes que portent en elles ces annonces ont de quoi questionner. Quand on sait les sabordages auxquels doit résister le droit à l’avortement libre, dans les lois comme sur le terrain, le monitoring des naissances n’est pas forcément de bonne augure. Le « réarmement démographique » fait appel à un imaginaire de menace pour la Nation ; le vieillissement de la population et son renouvellement trop faible. Les pressions subies notamment par les femmes – surtout quand elles rentrent dans le modèle hétérosexuel – qui rendent difficile un choix éclairé en matière de maternité risquent de s’accentuer.
Si l’on fait des appareils reproducteurs une arme qui sauvera le pays du vieillissement, comment peut-on espérer libérer les couples des injonctions subies et assurer au mieux un choix éclairé et volontaire de la parentalité ?
Dans cette même conférence de presse, le Président affirmait que « la France reste la France », avant de marteler les annonces visant à faire valoir l’ordre républicain. Or, le gouvernement montre de plus en plus explicitement qui selon lui représente une menace pour l’ordre républicain
Un enfant assit devant une banderole lors discours d’un rassemblement sur la politique d’accueil migratoire du Royaume-Uni, Londres (GB), avril 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Une personne tenant la main d’un enfant à la Crem’zad sur le tracé de l’autoroute A69, Saïx, octobre 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
"[...] tous les enfants ne semblent pas intéresser Macron de la même manière."
Par exemple, rapprocher le « réarmement démographique » de la loi immigration est éclairant. Si le ralentissement de la natalité inquiète le chef de l’État, ça n’a pas empêché la majorité macroniste et Darmanin en tête de faire voter une loi remettant en question le droit du sol, qui permet à deux parents issus de l’immigration de voir leur(s) enfants(s) né(s) en France recevoir la citoyenneté française. Le regroupement familial a lui aussi été malmené par cette proposition de loi. L’immigration pourtant est un facteur classique de lutte contre le vieillissement d’une population ou la baisse démographique. Mais tous les enfants ne semblent pas intéresser Macron de la même manière. La rhétorique du Grand Remplacement, sur-représentée dans les médias depuis plusieurs mois, n’est pas très loin.
Dans le traitement de cette problématique, le désengagement du Président de la République est palpable, et son refus d’adresser les problèmes structurels a de quoi étonner. L’infertilité galopante des couples en France – et ailleurs en Europe – n’a presque rien de surprenant. Les pollutions en tous genre, pesticides et perturbateurs endocriniens en tête de liste, ne sont pas étrangers au problème. Certes, le gouvernement prend en compte ces problèmes de pollution majeurs dans son plan contre l’infertilité, comme le montrait encore les récentes annonces du groupe d’Aurore Berger travaillant au grand plan de lutte contre l’infertilité. Mais le chef de l’État est redevable de ses actions. L’appareil Étatique doit être tenu pour responsable de ce qu’il engendre ou autorise.
Comment alors prendre ces annonces au sérieux, quand on sait l’ardeur qu’a eu le Président à faire autoriser le glyphosate pour dix nouvelles années. Ce pesticide « probablement » cancérigène est également étudié dans son rapport à l’infertilité, aux morts prématurées de fœtus ou de nouveaux-né.es et aux malformations congénitales. La faiblesse des actions entreprises par le gouvernement Macron concernant les polluants éternels montre bien la dissonance avec les annonces présidentielles. Rien n’a été entrepris pour mieux comprendre les effets des polluants éternels sur la santé et la fertilité, ni pour réguler l’utilisation de ses substances.
Nos sources
Laspière, V. T. (2024, 16 janvier). Natalité en France : pourquoi le nombre de naissances chute et comment freiner la tendance. ici, par France Bleu et France 3. https://www.francebleu.fr/infos/societe/natalite-en-france-pourquoi-le-nombre-de-naissances-chute-et-comment-le-freiner-9889592
Wynes, S., & Nicholas, K. A. (2017). The climate mitigation gap : education and government recommendations miss the most effective individual actions. Environmental Research Letters, 12(7), 074024. https://doi.org/10.1088/1748-9326/aa7541
Chaverou, É. (2019, 11 juillet). « Childfree » , « SEnVol » , « Ginks » : En France, le refus d’avoir un enfant reste stable depuis trente ans. France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/childfree-senvol-ginks-en-france-le-refus-d-avoir-un-enfant-reste-stable-depuis-trente-ans-5841379
Corre, D. L. (2021, 24 janvier). Pourquoi on choisit d’avoir des enfants. Urbania. https://urbania.fr/article/pourquoi-on-choisit-davoir-des-enfants
Pesticides et trouble de l’appareil reproducteur – générations futures. (2023, 6 juin). Générations Futures. https://www.generations-futures.fr/publications/pesticides-et-fertilite/
Gaudillière, J., & Jas, N. (2016). Introduction : La santé environnementale au-delà du risque ? Perturbateurs endocriniens, expertise et régulation en France et en Amérique du Nord. Sciences Sociales Et Sante, 34(3), 5‑18. https://doi.org/10.1684/sss.2011.0301