Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

C’est pas moi, c’est le système !

C’est pas moi, c’est le système !

Lucile Petitjean

Marche pour le climat, Lyon, janvier 2022
Photo : Sarah Leveaux | @sarah.lvox

Rejeter la faute sur le système ne nous sauvera pas. Depuis des années, les scientifiques sont formel.les : il faut agir. Pourtant, rien ne change. Il convient alors d’interroger les freins à l’engagement en faveur du climat. Ils sont nombreux, et ne seront pas évoqués ici les mécanismes classiques comme la méconnaissance ou le déni. L’urgence climatique et les actions qui pourraient être prises pour l’enrayer sont souvent mises à distance. L’un des phénomènes les plus répandus est la désincarnation. L’individu rejette la faute sur le système en refusant de reconnaître qu’il en fait partie, et qu’il participe donc à la situation à sa manière.

" L’individu rejette la faute sur le système en refusant de reconnaître qu’il en fait partie [...] "

Blocage interreligieux contre le projet EACOP, Paris, mai 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

L’entité « système » devient ainsi le seul responsable. Il est communément admis qu’il serait le seul responsable d’une bonne part de la crise climatique. Le système représente ici un ensemble flou d’institutions et d’acteur.ices sur lequel personne n’aurait réellement de prise. L’individu en est totalement distinct et plus encore, il s’en exclut. Il ne peut pas faire face seul à la machine infernale, il n’est donc pas responsable. Cette déresponsabilisation offre le confort de ne pas avoir à remettre en question son mode de vie ou ses actions.

La désincarnation, ou le confort de l’impuissance

Ce refus de percevoir sa propre participation au système a tout d’une impuissance choisie. En se refusant le pouvoir de changer quoi que ce soit, on s’accorde le droit de ne rien tenter et de ne pas culpabiliser pour cela. Dans ce fonctionnement, la remise en question n’a pas sa place. Cette position est d’autant plus confortable qu’elle s’accommode parfaitement du statu quo, voire le renforce. La majorité des gens se trouvent en réalité dans cette situation, et se renforcent ainsi les un.es les autres. Et pas seulement les citoyen.nes, mais aussi les entreprises ou encore l’État.

Sensibilisation devant le siège marketing de Total Energie, par YFC Lyon, Lyon, mars 2022
Photo  : Aurèle Castellane | @broth_earth

Action artistique contre la Fast Fashion, par Le Bruit Qui Court, Paris, novembre 2022
Photo  : Clément Lopez | @clementlopez.jepg

Ce sentiment d’impuissance s’ancre aussi dans des mécanismes psychologiques. Pour certain.es chercheur.euses, l’urgence écologique représenterait un trop grand défi pour notre cerveau. La complexité de la situation ne permet pas toujours à notre conscience de catégoriser les informations. Les frontières de la morale notamment en sont brouillées. On ne sait plus ce qui est bien ou mal, ce qu’il est bon de faire ou de ne pas faire. Le jugement moral n’étant pas certain, la capacité et la motivation de chacun.e à passer à l’action sont affaiblies. L’aspect « immatériel » du danger que représente le changement climatique participe à la difficulté de s’engager.

Les petits gestes, le pouvoir de s’engager sans rien changer

Les petits gestes sont la réponse parfaite à ce flou éthique et moral. Peu engageants, ils donnent pourtant l’impression d’être suffisants. Ils ne bouleversent pas les modes de vie mais on peut les effectuer au quotidien. En faisant des petits gestes, on agit donc tous les jours pour le climat. Pourtant, s’en contenter relève du tokénisme. Ils deviennent une forme de caution morale, et là encore une excuse pour ne pas faire plus.

" Les petits gestes sont la réponse parfaite à ce flou éthique et moral."

Et pire encore que d’empêcher de faire plus, les petits gestes peuvent même conduire à empirer la situation. C’est l’effet rebond. Par exemple, on passe de la voiture à essence à la voiture électrique pour moins polluer. Formidable, il nous est donc désormais permis de conduire jusqu’à la boulangerie pour aller acheter du pain plutôt que d’y aller à pied. Le cas des trottinettes électriques en libre service est canonique de cet effet rebond, puisqu’elles remplacent en majorité les déplacements à pieds, qui eux ne consomment rien.

Refaire société pour se donner le courage d’agir

La comparaison aux autres est un mécanisme psychologique classique. Dans le cas de l’engagement, il peut être un frein puissant. Il empêche de s’engager si d’autres personnes autour ne le font pas également. Car l’engagement, qu’il soit collectif ou non, a un coût. En particulier lorsque cet engagement est politique. En toute logique, personne ne veut assumer ce coût seul.e. Les solutions individuelles ne sont donc pas attrayantes, et dans ces conditions le collectif devient primordial.

Il est de plus en plus évident que les engagements individuels ne suffisent plus pour lutter contre le changement climatique. Le GIEC l’a affirmé dans son dernier rapport. Des dynamiques collectives doivent être à l’oeuvre. Elles renforcent l’action. Rencontrer des personnes traversées par les mêmes questions est salvateur. Construire des collectifs est également une bonne manière de se projeter dans un avenir désirable.

Voiture SUV, Lyon, août 2023
Photo  : Sarah Leveaux | @sarah.lvox

Nos sources

Gifford, R. (s. d.). The road to climate hell. New Scientist, 227(3029), 28‑33. https://doi.org/10.1016/s0262-4079(15)30744-2

Wullenkord, M., & Reese, G. (2021). Avoidance, rationalization, and denial : Defensive self-protection in the face of climate change negatively predicts pro-environmental behavior. Journal of Environmental Psychology, 77, 101683. https://doi.org/10.1016/j.jenvp.2021.101683

Peeters, W. (2019). Moral disengagement and the motivational gap in climate change. http://hdl.handle.net/1854/LU-8613911

Ben Névert est-il vraiment féministe ? (Léo Thiers-Vidal et la sociologie du proféminisme). (s. d.). YouTube. https://m.youtube.com/watch?v=CbnYwB8sU0I