Fragment de lutte

La répression par l’épuisement psychologique
Le trouble de stress post-traumatique

La répression par l’épuisement psychologique
Le trouble de stress post-traumatique

Pierre Fimbel | @pyr_fbl

« JE NE ME SENTAIS PAS LÉGITIME À SOUFFRIR… PSYCHOLOGIQUEMENT ALORS QUE D’AUTRES ÉTAIENT BLESSÉ.ES PHYSIQUEMENT »

— Lucile*, militante à Sainte-Soline

* Les noms ont été modifiés pour assurer l’anonymat des personnes interrogées.

Pierre Fimbel | @pyr_fbl

La répression ne se mesure pas qu’en hématomes ou en jours d’arrêt. En invisibilisant les traumatismes psychiques, l’État semble miser sur l’épuisement silencieux des luttes et de celleux qui la portent.

« Après ça, je confondais les oiseaux avec les lacrymos. »

– Dara*, militante Sainte-Soline

QUAND LA RÉPRESSION LAISSE DES TRACES INVISIBLES

« J’étais parano, je me sentais constamment alerte »

– Jules*, manifestant pour la Palestine à Lyon

La phrase revient, lancinante, dans les témoignages récoltés auprès de manifestant·es ayant vécu des épisodes de répression violente.

Durant le mouvement des Gilets jaunes, les médias ont documenté les « gueules cassées », les éborgnés, les mains arrachées. Le focus est surtout mis sur les séquelles physiques.

MAIS QU’EN EST-IL DES SÉQUELLES QUI NE SE VOIENT PAS ?

Aurèle Castellane | @broth_earth
Pierre Fimbel | @pyr_fbl

Après les charges policières et les tirs de LBD lors de diverses mobilisations, suite à des gardes à vue ou des perquisitions violentes, de nombreux·ses militant·es décrivent des nuits hantées par des flashbacks, des sursauts au bruit d’une porte qui claque, une angoisse latente et un sentiment de paranoïa.

« Avec les sirènes de police c’est pareil, à chaque fois je sens que ça réveille quelque chose chez moi. Il y a une zone de mon cerveau qui s’active et qui me met en alerte, même si je suis chez moi. »

– Davy*, militant à l’A69

LE TROUBLE DE STRESS POST-TRAUMATIQUE,
UNE RÉACTION DE SURVIE

Pierre Fimbel | @pyr_fbl

Le trouble de stress post-traumatique (TSPT)
se manifeste en réaction à une situation induisant
un danger de blessure grave ou de mort.

Les symptômes de ce trouble sont :

  • Reviviscence (revivre l’événement à travers des cauchemars, des souvenirs, des flashbacks intrusifs et indésirables),
  • Évitement (se distancer des lieux, activités, situations ou personnes rappelant le trauma),
  • Hypervigilance (excès de vigilance se manifestant par des sursauts, un sentiment de menace permanente, etc.),
  • Alteration de l’humeur et des pensées (amnésie, détachement, perte d’intérêt, culpabilité).

LE TSPT, ENTRE SENTIMENT D’IMPUNITÉ
ET BLESSURE DE GUERRE… CIVILE ?

Très documenté pour les militaires revenant de situations de conflits armés, ce trouble n’a pourtant pas de reconnaissance officielle pour ces citoyen·nes aspirant à exercer leur liberté d’expression. Pour les militant·es, c’est également l’absence de recours institutionnel qui rend cette expérience particulièrement difficile.

COMMENT TROUVER RÉPARATION AUPRÈS DU SYSTÈME QUI PERMET CES AGISSEMENTS ?

« Et se dire que je peux pas dénoncer ça, que j’ai aucun recours qui me fasse justice ou qui s’assure que ce policier ne refasse pas la même chose, c’est hyper violent… »

– Masha*, manifestante le 1er mai 2024

Le phénomène n’est pas nouveau, historiquement les mouvements sociaux ont toujours été des terrains de violence d’État. Mais aujourd’hui, une prise de conscience émerge : la répression ne blesse pas que les corps, elle fracture aussi les esprits.

« Je trouve ça révoltant de voir à quel point la violence est instrumentalisée pour faire peur aux militant.es et pour les forcer à ne plus militer. »

– Coline*, manifestante à Lyon
Pierre Fimbel | @pyr_fbl

« Je trouve ça révoltant de voir à quel point la violence est instrumentalisée pour faire peur aux militant.es et pour les forcer à ne plus militer. »

– Coline*, manifestante à Lyon

LA DÉMARCHE DOCUMENTAIRE

C’est en constatant les difficultés discrètes, mais omniprésentes, camouflées derrière le courage et la détermination des militant·es que ce questionnement m’est apparu : Pourquoi ne pose-t-on pas les termes adéquats sur les expériences traumatisantes vécues par ces citoyen·nes qui se battent pour le bien commun ?

Les nuits blanches de la révolution”. Les sursauts au bruit d’une porte qui claque ou d’un oiseau qui s’envole. L’inquiétude constante, la méfiance envers de nouvelles personnes rencontrées ou l’angoisse à l’idée de prendre part à une nouvelle action. Tant de signes qui m’ont progressivement interpellée au fil des interactions avec des militant·es et qui renvoient assez clairement au syndrome de stress post traumatique, aujourd’hui bien documenté en psychologie.

À travers ce documentaire, mon but n’est pas de faire peur ni de décourager celleux qui voudraient s’engager, ou qui militent déjà, mais je souhaite (pro)poser les termes. Je veux nommer, afin d’outiller et d’aider à comprendre, pour prendre soin et pour légitimer les individus face à la violence de la représsion étatique qu’ils endurent. J’espère ainsi inciter les discussions sur le sujet, afin de soulager et d’empouvoirer celleux qui luttent pour une justice collective, malgré leur souffrance individuelle.

SARAH LEVEAUX & ENGRAINAGE