Le logement et l’habitat sont des sujets centraux dans nos vies et dans notre société, et particulièrement sujet à la maltraitance capitaliste. Si les considérations écologiques peuvent mener à des politiques ambitieuses de rénovation à caractère social, leur cadre de réflexion est souvent partiel. En effet, la question du logement est souvent abordée de façon individuelle et peu politisée dans la société, ce qui cache un racisme profond et pluriel qui fait perdurer des discriminations au logement et une ségrégation spatiale sur critère ethnique. L’occupation récente de la Gaîté lyrique par les jeunes de Belleville, et leur expulsion brutale, permettent de remettre cette question du logement au sein des questions politiques et militantes.
la question du logement [...] cache un racisme profond et pluriel qui fait perdurer des discriminations au logement et une ségrégation spatiale sur critère ethnique

Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Les considérations écologiques détournent l’habitat de sa dimension sociale
L’urgence écologique et la sociétalisation des débats autour de la crise climatique ont fait de l’enjeu du logement un enjeu de rénovation et de réhabilitation énergétique. En effet, dans le référentiel de l’écologie du carbone, le logement est le troisième poste d’émission de gaz à effet de serre dans le bilan carbone individuel du français.e moyen.ne, après les déplacements et l’alimentation [1]. A l’image du travail du collectif Dernière rénovation, les dimensions écologiques et sociales du logement apprennent à se mêler, notamment à travers un plan national de rénovation thermique des bâtiments abordant le confort thermique et les dépenses énergétiques.
Cependant, le discours sur la rénovation semble encore incomplet, voire hypocrite quand il vient des élu.es. En effet, les questions de ségrégation spatiale, d’hébergement d’urgence, de lutte contre les expulsions de squats ou de discriminations dans l’accès au logement sont souvent reléguées au second plan, probablement parce qu’il est plus difficile d’en parler que de parler d’isolation et de conception bioclimatique. Politiquement, la question du logement est donc abordée le plus souvent avec un angle écologiste de performance énergétique plutôt qu’à travers un prisme social et solidaire.
Plus globalement, dans la mouvance écologique, la question de l’habitat paraît également un peu coincée dans un paradigme « classique » de la lutte écolo : les considérations individuelles ou micro-collectives. En effet, la quête de l’impact environnemental minimum oriente les achats sur de l’existant plutôt que du neuf, et pousse à expérimenter des modes d’achat et de vie plus coopératifs, avec notamment les habitats partagés. Si ces remises en question des normes sociales de l’habitat sont primordiales, ces actes portent peu de critique politique et de solidarité, et maintiennent donc indirectement les inégalités et les discriminations dans l’accès à un logement digne et stable pour toustes.

Photo : Clément Lopez | @clementlopez.jpeg

Photo : Elio | @elio_j

Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
L’Etat ne peut être la solution et le problème
La thématique du logement est un sujet qui recoupe l’aspect individuel et l’aspect sociétal, allant de considérations sur notre qualité de vie à des réflexions sur l’aspect structurel et sociétal des politiques du logement. Il n’est donc pas évident de s’en saisir politiquement en ayant conscience de ses biais personnels. Ce qui est certain cependant, c’est qu’imaginer voir l’Etat comme une solution avant de le voir comme un problème cache la violence des politiques de logement. Et ce, quel que soit le parti au pouvoir. En effet, durant les dernières décennies, les politiques de logement ont toujours été discriminatoires, que ce soit par les gouvernements libéraux ou conservateurs qui se sont suivis, même les moins à droite.
Le collectif des jeunes de Belleville et la médiatisation de leurs actions ont permis de confronter les pouvoirs publics à leur désengagement vis-à-vis de l’aspect social du logement, mais également au racisme institutionnel qui traverse la problématique de l’habitat, dans le sens où les institutions reproduisent et entretiennent les inégalités raciales. Car le cas de ces jeunes a permis de mettre en évidence la lutte que représente une prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance et l’Accueil Provisoire d’Urgence, qui sont pourtant un droit des mineur.es isolé.es qui arrivent en France et un devoir des institutions. Ce cas montre aussi à quel point les pouvoirs publics, en l’occurrence la mairie de Paris, ont pu faire la sourde oreille face aux demandes de rencontres avec le collectif, de recherche de solutions d’hébergement, etc.
L’auto-organisation de ce collectif et ses nombreuses actions – dont l’occupation d’un lieu symbolique, des manifestations et des négociations avec la préfecture et la mairie – ont remis sur le devant de la scène et médiatisé une manière de politiser la problématique du logement, par les concerné.es et pour les concerné.es. Le soutien massif qu’il y a pu avoir tout au long de l’occupation de la Gaîté lyrique, et surtout lors de l’expulsion des jeunes, montre la justesse de la lutte du collectif des jeunes de Belleville et de ses méthodes, et questionne la manière de s’allier à cette cause. Pour s’ouvrir à ces actions politiques, le soutien aux collectifs autoorganisés est central, notamment pour empouvoirer les personnes directement concernées par une problématique du logement. Voici sinon une liste de structures qui défendent la solidarité avec les personnes expulsé.es, non pris.es en charge ou mal logé.es, et la contestation avec les politiques urbanistiques et de logement actuelles : Droit au logement, Collectif Associations Logement, association DALO, lutte contre les expulsions de squats, etc.

Photo : Pierre Fimbel | @pyr_fbl
L’accès au logement couve un racisme institutionnel fort
Depuis 50 ans, les politiques du logement se sont libéralisées et la gestion des problématiques de l’habitat a été confiée au marché, à son autorégulation et aux acteurs privés [2]. Ce faisant, les notions de droit humain et de dignité ont été brouillées par la rentabilité et ont laissé libre cours à des formes de discriminations, basées sur un critère économique à travers la question de la propriété, mais aussi sur un critère racial.
Sans encadrement, les acteurs économiques privés du monde de l’habitat – les bailleurs, les agences immobilières, etc. – ont en effet la possibilité de différencier les individus dans le traitement de leurs demandes. Ce tri se fait principalement sur des critères de risque, de rentabilité financière et d’image, laissant la place aux préjugés [3]. Et les personnes non-blanches en paient le prix, comme le montrent les nombreux témoignages de discrimination au logement [4, 5, 6].
Concernant l’action publique en matière de logement social, l’accès au logement est aussi fortement marqué par du racisme, institutionnel cette fois. Dans son étude sur la politique du logement social à Marseille, Valérie Sala Pala montre que les institutions reproduisent « de la discrimination et de la ségrégation ethniques » [7]. En maintenant une opacité sur les attributions des logements, souvent faites au cas par cas ; en définissant des « bons » et des « mauvais » clients, notamment par le prisme d’une prétendue (in)adaptation culturelle ; en concentrant les groupes ethniques considérés comme « groupes à risques » dans certains quartiers, les institutions censées porter une dimension sociale du logement confortent en fait des discriminations.

Photo : Sarah Levaux | @sarah.lvox
Sans surprise, le capitalisme et le libéralisme ne répondent pas à la problématique d’accès à un logement digne et stable pour toustes et laissent libre cours à l’expression de différentes formes de racisme.
L’Etat est garant d’un ordre économique et social capitaliste et libéral, qui maintient et favorise la propriété privée et des politiques qui reproduisent de la discrimination et de la ségrégation ethniques. L’engagement pour le droit à un logement digne et stable pour toustes passe aujourd’hui par des actions politiques, notamment par de l’auto-organisation comme le collectif des jeunes de Belleville.
[MyCO2] Empreinte carbone française moyenne : Mise à jour 2021 | Carbone 4. (s. d.). Consulté 17 avril 2025, à l’adresse https://carbone4.com/fr/analyse-myco2-empreinte-carbone-moyenne-2021
1850-1995—Les étapes de la politique du logement en France. (s. d.). Unaf. Consulté 17 avril 2025, à l’adresse https://www.unaf.fr/expert-des-familles/revue-realites-familiales/realites-familiales/1850-1995-les-etapes-de-la-politique-du-logement-en-france/
Loi du marché et discrimination (Première partie)—Les mots sont importants (lmsi.net). (s. d.). Consulté 17 avril 2025, à l’adresse https://lmsi.net/Loi-du-marche-et-discrimination
à 19h33, P. T. B. L. 6 mai 2019, & À 19h54, M. L. 6 M. 2019. (2019, mai 6). Logement et racisme : Un an d’enquête sur les discriminations. leparisien.fr. https://www.leparisien.fr/societe/logement-et-racisme-un-an-d-enquete-sur-les-discriminations-06-05-2019-8066877.php
De la discrimination dans l’accès au logement | France Culture. (s. d.). Consulté 17 avril 2025, à l’adresse https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/pixel-13-14/de-la-discrimination-dans-l-acces-au-logement-8884121
Verduzier, P. (2018, septembre 13). «On refusait notre dossier en disant que le bien était loué, et on retrouvait l’annonce en ligne». Slate.fr. https://www.slate.fr/story/167120/discrimination-logement-personnes-racisees
Valérie Sala Pala. La politique du logement social est-elle raciste ? Le cas marseillais. Faire-Savoirs: Sciences de l’Homme et de la Société en Provence-Alpes-Côte d’Azur, 2007, 6, pp.25-36.