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Un autre regard sur les migrations climatiques

Un autre regard sur les migrations climatiques

Simon Brisard

Périph lyonnais le soir d'une action contre la pollution de l'air, Lyon, octobre 2022
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Penser aux déplacements de population dus au changement climatique aboutit souvent à des imaginaires de migrations fantasmés des suds vers les nords. Pourtant, les effets du changement climatique auront aussi et surtout des incidences sur la répartition des populations au sein même de nos frontières. Et les perspectives d’évolution de cette répartition restent fortement imprégnées d’inégalités sociales : les régions les moins touchées par les événements climatiques extrêmes seront probablement la chasse gardée de la bourgeoisie économique. Pour minimiser cela, l’adaptation des territoires au changement climatique paraît impérative.  

[...] les régions les moins touchées par les événements climatiques extrêmes seront probablement la chasse gardée de la bourgeoisie économique.

Orage au-dessus du 2ème arrondissement de Lyon
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Une nouvelle organisation sociale du territoire est en train de se jouer

En matière de déplacements de populations, les regards portés par les politiques et éditorialistes mainstream se focalisent sur les personnes en exil qui cherchent à traverser nos frontières. Leur panique morale et leur rhétorique laissent à penser que des régions du monde – Maghreb, Afrique centrale, Moyen-Orient – déferleraient en France. Avec son lot d’insécurités et d’atteintes à la culture judéo-chrétienne. Cette analyse est fallacieuse, notamment car elle sert une idéologie réactionnaire [1]. De plus, elle cache une réalité qui tend à se normaliser : les déplacements de population pour des causes climatiques à l’intérieur des frontières. La répartition territoriale des populations n’est pas fixe et le changement climatique sera très certainement amené à la modifier.  

La France subit des événements climatiques extrêmes de plus en plus fréquents et intenses, comme des vagues de chaleur, des pluies diluviennes causant des inondations, des tempêtes et crues ou des incendies de forêts. Malgré un réchauffement global, ces derniers sont inégalement répartis entre les territoires, du fait notamment de différences de climat ou d’aménagement. Leur exposition à ces aléas climatiques, qui influe directement sur leur habitabilité, est en train de devenir un nouveau facteur de déplacement des populations, qui deviendra probablement de plus en plus prépondérant. Nombreux sont les articles qui s’intéressent déjà aux villes ou régions où il fera bon vivre en 2050 [2] [3] [4]. 

Alors que, dans les dernières décennies, la répartition des populations s’analysait principalement autour d’une dualité ville/campagne, marquée par une inégalité d’accès aux services, à la culture et à l’emploi, l’organisation sociale du territoire de 2050 sera probablement plutôt liée au climat et à l’accès à l’eau. 

Manifestation contre les PFAs devant le site d'Arkema, Pierre-Bénite, mai 2024
Photo : Elio | @elio_j
Mobilisation contre l'accaparement de l'eau dans le cadre de l'action "l'eau rage gronde" de XR, juillet 2023
Photo : Sarah Levaux | @sarah.lvox
Cortège lors de la mobilisation contre les mégabassines, La Rochelle, juillet 2024
Photo : Elio | @elio_j
Cortège lors d'une mobilisation de la lutte des Sucs, contre le projet routier de la RN88 vers Valence, novembre 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Banderole affichée lors d'une action contre l'accaparement de l'eau par l'industrie des puces dans la région de Grenoble, Grenoble, juin 2024
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Le climat comme nouveau facteur d’inégalités sociales

En questionnant cette organisation future du territoire, il est crucial de penser la façon dont les facteurs d’inégalités actuels seront accentués par la crise climatique. Des études montrent en effet que l’impact environnementale des activités humaines accentue déjà la vulnérabilité des personnes qui souffrent des inégalités socio-économiques, creusant encore plus profondément les écarts. C’est par exemple le cas d’une étude portant sur l’Ile-de-France montre que l’exposition aux multirisques environnementaux (pollution de l’air, de l’eau, des sols) concerne principalement les zones qui regroupent les ménages à bas revenus [5]. Cela peut s’expliquer notamment par les politiques passées et actuelles d’aménagement des territoires et de répartition des populations, qui se basent en partie sur le capital économique, culturel et, indirectement, sur des inégalités ethnoraciales. Les populations à bas revenus d’Ile-de-France vivent donc à proximité de sources de pollutions et de nuisances sonores, mais logent aussi souvent dans un cadre urbain ultra artificialisé, propice aux îlots de chaleur et aux inondations. 

Ensuite, la répartition de la population est fortement liée à l’accès à la propriété, et à la mobilité professionnelle. Sur ces deux critères, les catégories sociales les plus aisées et éduquées bénéficient d’un net avantage. Un avantage culturel d’abord puisque ces dernières ont la possibilité de questionner l’habitabilité de leur lieu de vie et ont accès aux ressources nécessaire pour anticiper au mieux les catastrophes qu’iels pourraient subir. Un avantage économique ensuite, car il leur est plus facile d’envisager investir dans un nouveau logement et un déménagement vers des zones moins à risque. Aussi, les cadres et CSP+ bénéficient d’une mobilité professionnelle beaucoup plus aisée que par le passé, grâce au télétravail notamment, et bien supérieure à celle que peuvent connaître les ouvriers, les agriculteur.rices ou les employé.es de bureau. En l’état, le changement climatique est donc un facteur d’amplification des inégalités sociales, au travers de l’habitabilité des territoires. 

L’adaptation au changement climatique pour lutter contre ces inégalités

L’aménagement des territoires est une solution centrale pour leur habitabilité future, à condition qu’il soit adapté aux évolutions climatiques et aux vulnérabilités propres à chaque espace. Les questions de désimperméabilisation, de restauration des cours d’eau et des espaces naturels, de régénération des écosystèmes et de renaturation, d’équipements pour lutter face aux incendies, de lutte contre les îlots de chaleur sont autant de pistes de solutions pour penser la vie dans une société dans une société à +3 ou +4°C en 2100. Sans effacer les inégalités face aux crises écologiques, une véritable politique d’adaptation au changement climatique, mêlant réflexions locales et actions globales, permettrait a minima d’en réduire l’ampleur. Pourtant, le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) [6] est extrêmement décevant, vis-à-vis notamment de l’ « après-diagnostic », qui reste dans un flou pratique, politique et économique.  

Il semble primordial que ces discussions et décisions d’adaptation prennent une tournure différente, avec une vraie portée politique, à la hauteur des annonces de Christophe Béchu. Ce dernier présentait en début d’année l’adaptation comme un chantier dans lequel « il faut tout reconstruire, tout repenser, faire évoluer nos modèles, nos référentiels, nos règles […] Il faut l’élever à un degré de priorité égal à celui d’une politique régalienne. » Ilian Moundib, auteur du livre « S’adapter au changement climatique, Fake or not ? », propose d’aborder l’adaptation climatique par le prisme des communs. Cela apparaît comme une manière de la concevoir le plus justement et pragmatiquement possible, entre les territoires et les populations. Sans qu’elle ne se résume à quelques initiatives locales ou privées. Reste à travailler à ce que cela devienne une réalité. 

Plantation d'arbres et de plants dans le cadre de la lutte des Sucs, contre le projet routier de la RN88 vers Valence, novembre 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

En l’état, compte tenu du faible engagement politique et budgétaire du gouvernement à propos de l’adaptation au changement climatique, l’habitabilité déclinante de certains territoires risque de bouleverser notre organisation sociale et la répartition de populations. Dans cette optique, les populations les plus aisées bénéficient de nets avantages qui reconduiront très probablement des mécanismes d’inégalités sociales en matière d’habitat, cette fois vis-à-vis des effets du changement climatique.  

Sources
  1. Brisard, S. (2024, juin 23). Le fantasme des réfugié.es climatiques est à abolir. Engrainage. https://engrainage-media.com/le-fantasme-des-refugie-es-climatiques-est-a-abolir/  
  2. 5 villes françaises où il fera bon vivre en 2050 malgré le réchauffement climatique. (s. d.). Consulté 13 novembre 2024, à l’adresse https://www.lokki.rent/media/villes-futur-bien-vivre 
  3. Feautrier, D. (2024, février 14). Changement climatique : Où sera-t-il confortable de vivre en 2100 ? helios. https://blog.helios.do/changement-climatique-vivre-en-2100/  
  4. Où vivre en France en 2050 ? (2023, août 23). https://chiche.makesense.org/media/environnement/ou-vivre-en-france-en-2050  
  5.  https://www.bruitparif.fr/pages/En-tete/700%20Comprendre/700%20Cons%C3%A9quences%20socio-territoriales/2016-03-01%20-%20Identification%20de%20points%20noirs%20environnementaux%20en%20r%C3%A9gion%20Ile-de-France%20-%20IAU%20IdF.pdf  
  6. Adaptation de la France au changement climatique | Ministère du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation Ministère de la Transition écologique, de l’Énergie, du Climat et de la Prévention des risques Ministère du Logement et de la Rénovation urbaine. (s. d.). Consulté 13 novembre 2024, à l’adresse https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/adaptation-france-changement-climatique