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La guerre écologique n’aura pas lieu

20/12/2023

Écrit par :

Lucile Petitjean

Photos de :

Aurèle Castellane

Pierre Fimbel

Clément Lopez

Léo Previtali

Feu de poubelle lors d’une manifestation contre la réforme des retraites, Lyon, janvier 2023
Photo  : Aurèle Castellane | @broth_earth

On voit éclore dans la sphère politique et médiatique un discours sur la multiplication des « conflits climatiques ». Cette notion est pourtant rejetée par une bonne partie – bien que pas l’entièreté – des spécialistes. Ce récit sert en réalité un projet politique des pays occidentaux. Il a des conséquences directes. Un mouvement de « sécurisation » du climat, un effacement des causes du changement climatique au profit de ses conséquences supposées. Il devient également une nouvelle manière pour les pays occidentaux de contrôler les pays anciennement colonisés.

"[...] les chercheur.euses observent un impact du changement climatique sur la stabilité des États et du pouvoir en place."

Gaz lacrymogènes au cœur des manifestant.es lors de la manifestation contre la ligne Lyon-Turin, Maurienne, juin 2023
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Certain.es chercheur.euses cherchent donc à établir des liens entre naissance de conflits et changements environnementaux. La crise climatique devient une menace sur la paix internationale. Dans ces recherches, il est estimé que les changements climatiques, la raréfaction de la ressource et les effondrements de biodiversité sont des facteurs bellicistes. Ils incitent les pays ou les populations à faire la guerre. Le plus souvent, les exemples montrent des conflits de populations autour de ressources ou de territoires. Ce facteur tendrait à augmenter selon ces études. Finalement, les chercheur.euses observent un impact du changement climatique sur la stabilité des États et du pouvoir en place.

Il convient pourtant de nuancer ces études. Le principal argument qui leur est opposé est que concomitance n’équivaut pas à causalité. Deux évènements peuvent se dérouler en même temps au même endroit sans pour autant être tributaires l’un de l’autre. La raréfaction de la ressource est presque toujours le nœud des conflits qualifiés de « conflits environnementaux ». Pour autant, de nombreuses études montrent qu’il n’existe aucun conflit dû seulement à un manque de ressource.

Tache de sang suite à l’explosion d’une grenade sur le pied d’un.e manifestant.e lors de la manifestation contre la ligne Lyon-Turin, Maurienne, juin 2023
Photo  : Pierre Fimbel | @pyr_fbl

Lancement de gaz lacrymogène sur les manifestant.es lors de la manifestation contre la ligne Lyon-Turin, Maurienne, juin 2023
Photo  : Pierre Fimbel | @pyr_fbl

Dans ces cas-là au contraire, les sociologues et les anthropologues observent plutôt des formes de solidarités entre les personnes ou même entre les peuples. Ce sont en réalité le contexte politique, social et économique qui est un déclencheur de conflits. Les guerres entre populations ou au sein d’un même État ont toujours des causes multidimensionnelles. Le manque de ressources peut en être une, mais il n’a jamais suffit à déclencher une guerre. Cette thèse conduit non seulement à simplifier la lecture géopolitique des conflits, mais en efface aussi les causes parfois bien plus profondes et structurelles.

Quand le conseil de sécurité de l’ONU s’en mêle

Ce type de discours a tant enflé ces dernières années que le sujet est débattu au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU. Cet organe, chargé d’assurer l’ordre mondial et la paix internationale, instauré suite aux deux Guerres Mondiales, n’était pourtant pas conçu pour s’occuper de changements environnementaux. Les pays occidentaux siégeant au Conseil souhaitent pourtant se saisir du sujet, avec un prisme sécuritaire et militaire.

C’est ce qu’on appelle la « sécurisation » du climat, qui fait du changement climatique un enjeu d’instabilité géopolitique et qui induit en toute logique des réponses militaires a une crise du développement. Ce traitement par le Conseil a donc des conséquences politiques concrètes, contre lesquelles se dressent de nombreux pays dits « des suds ». La crainte principale serait d’instaurer un climat de tension et de défiance dans un contexte militaire et guerrier alors même que les solutions les plus efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique requièrent une coopération forte entre les Etats du monde. Cette sécurisation du climat est donc contre-productive.
De plus, si la gestion de la crise climatique entrait dans le giron du Conseil de Sécurité, l’ONU se devrait d’apporter des solutions préventives à ces conflits. Par exemple, en intervenant dans les pays aux États dits « faibles », dont on a déjà vu que le changement climatique est un facteur aggravant qui pourrait entraîner des conflits, voire des guerres ouvertes. La gestion de l’environnement mais aussi la politique intérieure pourraient revenir à des institutions internationales ou des États plus forts, en tous cas seraient déléguées à des acteur.ices extérieur.es. De nombreux pays des suds remettent donc en cause la légitimité du Conseil de Sécurité de l’ONU à s’emparer du sujet.

Manifestant renvoyant un palet de lacrymogène, Lyon, mai 2023
Photo  : Aurèle Castellane | @broth_earth

"Les pays occidentaux sont bien souvent les causes structurelles de la déstabilisation d’immenses régions du monde, notamment du fait de la colonisation ou de nouvelles ingérences."

Une manière pour les pays occidentaux de se dédouaner

Derrière ces discours politiques sur les supposés « conflits environnementaux » qui viennent se cache un enjeu d’image, et de responsabilisation. Ou plutôt de déresponsabilisation. Les USA ont théorisé au début du XXIème siècle le concept des États « faillis ». Ce sont des pays où l’État ne peut plus exercer son contrôle sur l’entièreté du territoire qu’il est censé contrôler. Les États faibles sont des États contestés, peu respectés ou sur le point d’être renversés, ou de devenir des États « faillis ». Ces États sont considérés par les USA comme la source de la majorité des conflits et guerres actuels, alors qu’à la période précédente ce sont les États dits « forts » qui déclaraient des guerres, notamment pour étendre leur pouvoir. Cette nouvelle analyse des relations internationales belliqueuses fait des États des suds, et spécialement des anciens pays colonisés notamment au Proche et Moyen-Orient les sources majeurs de conflits dans le monde. C’est oublier que les grandes puissances n’y sont pas complètement étrangères. 

Manifestant.es lançant un feu d’artifice lors de la manifestation contre la ligne Lyon-Turin, Maurienne, juin 2023
Photo  : Pierre Fimbel | @pyr_fbl

Manifestant.es au cœur d’un brouillard de lacrymogène, Saint-Soline, mars 2023
Photo  : Clément Lopez| @clementlopez.jpeg

Le concept d’État faible à d’ailleurs déjà été utilisé par les États-Unis pour rentrer en guerre et intervenir dans des territoires qui n’étaient pas les leurs, souvent pour des motivations économiques ou pétrolières. En clair, rendre les États des suds responsables de futurs conflits probables et aggravés par le changement climatique revient non seulement à jeter l’opprobre sur une partie du monde mais aussi oublier les réels responsables de la situation actuelle. Les pays occidentaux sont bien souvent les causes structurelles de la déstabilisation d’immenses régions du monde, notamment du fait de la colonisation ou de nouvelles ingérences. Ils sont aussi, comme l’ont montré de nombreuses études, les principaux responsables de la situation d’urgence écologique que nous connaissons aujourd’hui.

Ce discours sur les conflits climatiques s’accompagne parfois d’une vigilance sur la question de la « migration climatique ». Surgit donc ici le spectre inquiétant des réfugié.es environnementaux, déjà nombreux.euses du fait de l’augmentation du nombre de catastrophes naturelles ou de l’augmentation des eaux. Si l’on ajoute à ces vagues migratoires des réfugié.es politique qui fuient une guerre due au changement climatique, l’inquiétude devient peur face à la menace. Ce
sujet plus global des migrations climatiques, dans lequel s’insère celui des réfugiés de conflits environnementaux, se retrouve dans la sphère médiatique. Il sert d’argument à une écologie de droite, qui pousse à agir en faveur du climat par peur de l’autre, et en nourrissant en parallèle des velléités de fermeture des frontières. Ce courant de l’écologie droitière prône souvent un effondrement de la population mondiale comme solution possible au changement climatique.

Trou de terre suite à l’explosion d’une grenade GM2L, Saint-Soline, mars 2023
Photo  : Clément Lopez| @clementlopez.jpeg

Nos sources

Gemenne, F. (2015). Chapitre 4. Enjeux de sécurité. Dans : , F. Gemenne, Géopolitique du climat: Négociations, stratégies, impacts (pp. 79-90). Paris: Armand Colin.

Regaud, N., Alex, B. & Gemenne, F. (2022). La guerre chaude: Enjeux stratégiques du changement climatique. Presses de Sciences Po.

Tertrais, B. (2016). Chapitre 3. Un mythe moderne. Dans : , B. Tertrais, Les guerres du climat: Contre-enquête sur un mythe moderne (pp. 39-44). Paris: CNRS Éditions.

Lobry, D. (2017). Les implications pour la défense du changement climatique. Revue Défense Nationale, 797, 91-95.

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