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L’écoféminisme et ses potentielles dérives

L’écoféminisme et ses potentielles dérives

Lucile Petitjean

Photo : Alice Bourdelain | @alicebrdln

Un courant de pensée ambivalent. Le mot écoféminisme a longtemps été délaissé, car trop large. Il donne aujourd’hui lieu à des batailles idéologiques. Les écoféministes cherchent à abolir toute orme d’oppression, des femmes mais aussi des personnes racisées ou encore de la Terre. En cela, l’écoféminisme est révolutionnaire. Mais le lien, parfois vécu comme sacré, entre femme et nature peut s’avérer réducteur. Voire même excluant s’il est mal utilisé.

Une relation femme-nature en question

Une partie de la pensée écoféministe se base sur l’idée que les femmes ont une relation particulière à la Terre mère. Historiquement, c’est un ressort puissant pour les mobilisations féministes des Suds, protégeant leur espace naturel proche. Mais ce lien entre femme et nature a pu effrayer les féministes européennes.

L’écoféminisme s’est donc beaucoup inspiré des croyances des femmes des Suds et de leur rapport à la nature comme sacré. Pourtant, celles-ci ne se revendiquent pas de l’écoféminisme, un courant plutôt associé aux féministes blanches. Vandana Shiva par exemple est souvent citée en inspiratrice, mais ne se définit pas elle-même comme écoféminisme. On peut y voir une forme d’appropriation culturelle à laquelle il faut prêter vigilance.

Crédit photo : Paul Jullien | @pjullien

Un mouvement dont certain.es se méfient

C’est une écrivaine française, Françoise D’Eaubonne, qui invente l’écoféminisme. Cependant en France la lutte féministe a longtemps tenu à sortir de la rhétorique de l’existence d’une féminité « par nature ». Les féministes françaises, héritières de Simone de Beauvoir, voient dans l’écoféminisme une possible régression.

Aujourd’hui encore l’avenir de la lutte écoféministe n’est pas assuré. Ce mouvement inquiète et fait parfois craindre des dérives excluantes. L’écoféminisme est parfois dénoncé car il naturaliserait le lien entre le sexe et le genre. Des propos transphobes peuvent donc s’appuyer sur une vision écoféministe, comme c’est parfois le cas dans les podcasts de Floraison par exemple.

Crédit photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

La résurgence d’un mouvement intersectionnel

Dans les années 1970 naissent de nombreuses mobilisations contre le nucléaire. Les femmes y sont sur-représentées. Elles sont souvent les premières à s’inquiéter des effets du nucléaire sur leurs familles. Puis s’y ajoutent des considérations féministes. Greenham Common (UK) est ainsi la première occupation en non-mixité contre le nucléaire. Les luttes féministes et écologistes deviennent ainsi un seul et même combat.

Dans la pensée écoféministe, le patriarcat, le capitalisme, la destruction de la nature, mais aussi le racisme sont perçus comme des systèmes d’oppression interconnectés. L’intersectionnalité apparaissant comme le futur de la lutte, l’écoféminisme ne pouvait que revenir sur le devant de la scène, comme à Bure par exemple.

Dépasser les stéréotypes de l’écoféminisme

Les femmes et minorités de genre sont et continueront d’être les premières personnes impactées par la crise climatique. L’écoféminisme appelle à travailler sur ces problématiques spécifiques. Il invite aussi à revoir nos schémas de genre. Au lieu de naturaliser un lien entre sexe et genre, l’écoféminisme peut aussi être une manière de revaloriser des attributs perçus comme « féminins », qui devraient être l’affaire de toustes. Prendre soin de soi mais aussi des autres ou encore du vivant dans son ensemble par exemple.

Crédit photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Sources :

  • Le Féminisme ou la mort, Françoise d’Eaubonne, paru en 1974
  • Etre écoféministe, théories et pratiques, Jeanne Burgart Goutal, 2020
  • NELKIN, D. (1981). «L’énergie nucléaire dans le discours féministe ». Sociologie et sociétés , n°13
  • CRESSWELLl, T. (1994). « Putting women in their place : the Carnival at Greenham Common ». Antipode , n°26, pp 35 58
  • PORHEL V. (2018). « Genre, environnement et conflit à Plogoff (1980) ». Genre & Histoire, n° 22
  • Reporterre: « A Bure, l’écoféminisme renouvelle la lutte antinucléaire », 2019 https://reporterre.net/A-Bure-l-ecofeminisme-renouvelle-la-lutte-antinucleairee écologique » – Bruno Latour et Nikolaj Schultz