La signature du traité de libre-échange entre l’UE et le MERCOSUR met en avant la mondialisation de l’agriculture et de l’élevage et la libéralisation des marchés. Face à cette réalité bien établie, les voix qui s’élèvent sont tumultueuses. L’antispécisme et l’agriculture paysanne défendent justement des alternatives à ce système qui, jusqu’à présent, n’étaient pas compatibles entre elles Les lignes sont toutefois en train de bouger doucement à l’initiative d‘un antispécisme qui dézoome de la cause animale pour inclure une dimension sociale à ses réflexions. De quoi rêver à une réflexion de société mêlant la cause animale, la cause sociale des éleveur.euses et l’écologie.
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Le monde agricole, et notamment l’élevage, est central dans notre organisation sociale, tant pour les services qu’il procure – en matière d’alimentation notamment – que pour la place qu’il occupe dans les discussions politiques. Pourtant, nombreuses sont les voix discordantes dans ces discussions, entre celles des différents syndicats ou encore de la mouvance antispéciste.
Du côté des syndicats agricoles, organismes centraux de l’agriculture, cette discordance est incarnée par les positions diamétralement opposées de la Confédération paysanne et de la FNSEA. La Confédération paysanne défend « les dimensions sociales, agronomiques et environnementales dans la production agricole » [1], quand la FNSEA, syndicat majoritaire, est favorable à la mondialisation du marché agricole [2] et salue la réhomologation du glyphosate comme « une décision qui s’appuie sur la science » [3]. Le panorama des syndicats agricoles se complète avec les Jeunes Agriculteurs, syndicat très proche de la FNSEA, et la Coordination rurale, qui défend une vision conservatrice de la petite paysannerie. Ces syndicats focalisent beaucoup l’attention, et permettent de constater que l’agriculture et l’élevage aux dimensions raisonnées, sociales et écologiques restent marginaux face à une agriculture mondialisée et libéralisée.
Dans ce paysage, l’antispécisme apporte une voix encore plus discordante, car déconnectée de ce qui constitue le cœur de l’action de ces syndicats : la réalité sociale et matérielle des éleveur.euses. Depuis des années, les communications de collectifs comme L214 ou les programmes du Parti animaliste montrent en effet que la pensée animaliste/antispéciste se concentre exclusivement sur la cause animale. A la marge, certaines démarches antispécistes commencent à adjoindre la cause sociale des éleveur.euses à la cause animale.
Le bien-être animal comme convergence entre antispécistes et éleveur.euses
La Confédération paysanne et les mouvements antispécistes revendiquent aujourd’hui des approches écologiques et sociales de la production agricole et de l’élevage qui paraissent difficilement compatibles. L’une et l’autre ont du mal à se considérer [4, 5]. Pourtant, ce sont des collectifs qui sont en lutte contre les politiques publiques, les lobbies et les syndicats professionnels agricoles dont les intérêts sont liés à une agriculture mondialisée et destructrice. Plus concrètement, leurs revendications respectives peuvent se rejoindre sur le bien-être animal et la fin de vie.
Cette jonction a longtemps été rendue impossible par incompatibilité des idées et des sémantiques, quand la préoccupation pour la cause animale masquait totalement la complexité de la situation d’éleveur.euse et la difficulté de leur vie. Aujourd’hui, un positionnement différent émerge, avec plus de recul. La campagne « L’affaire du Steak » de l’association FUTUR, qui milite pour une végétalisation de l’alimentation, défend une mutation du monde agricole en prenant en compte la vie des travailleur.euses, les taux de suicide et d’accidents du travail élevés du milieu, l’endettement extrême et la vie souvent sous le seuil de pauvreté [6]. Pour elleux, la végétalisation de l’alimentation ne se base donc pas uniquement sur des considérations animalistes et écologiques, mais aussi sociales. Cette position semble être un premier pas vers la reconnaissance des éleveur.euses comme victimes elleux aussi du système agroalimentaire et, en tant que travailleur.euses, comme aliéné.es par la réalité socioéconomique de leur profession.
L’économie actuelle des élevages impose par défaut un rapport de domination des humain.es sur les bêtes, qui génère des pratiques dures de manière quasi automatique et systémique. Cependant, le rapport économique qu’entretient l’éleveur.euse avec ses bêtes n’empêche pas l’existence d’une vraie dimension sensible au sein des fermes : une relation sincère et profonde lie souvent l’éleveur.euse à son troupeau, et réciproquement. Ainsi, les éleveur.euses sont par exemple les premiers choqué.es par les conditions déplorables de transport ou l’horreur de l’abattage et, minoritairement certes, certain.es préfèrent garder par affection des animaux pourtant en âge d’être réformés et abattus [7]. Un projet sur la fin de vie des animaux cassant le plus possible le rapport économique que les éleveur.euses entretiennent avec les bêtes, qui les pousse à l’abattoir, pourrait poser les bases d’une alliance idéologique.
Une réalité économique qui doit changer dans le monde agricole
Au-delà d’une jonction éthique et morale sur le bien-être animal, la jonction antispécistes/ éleveur.euses pourrait prendre corps autour de discussions d’ordre économique. En effet, le modèle économique de l’agriculture et de l’élevage répandu en France aujourd’hui implique un fort endettement et une vie proche ou sous le seuil de pauvreté [8]. Par exemple, face à des besoins d’investissement pour maintenir leur activité, certains élevages de vaches laitières du Nord préfèrent se reconvertir dans la culture de la pomme de terre [9]. Les critères de cette conversion sont certes purement économiques, mais cela va dans le sens de la végétalisation des élevages, centrale dans le projet que portent les mouvements antispécistes.
Au-delà de ses actions de sensibilisation, de plaidoyer et de dénonciation, l’antispécisme pourrait donc concrètement travailler sur la transition d’élevages en difficulté financière vers des cultures végétales, comme le propose Jean-Marc Charrière, ancien éleveur devenu antispéciste [10]. Il propose également d’accompagner cette démarche de réflexions sur le futur des animaux après la reconversion, et notamment sur comment imaginer un rapport non-productif aux bêtes. Ces dernières pourraient par exemple être pourvoyeuses de service pour l’humain.e et les cultures végétales, mais dans une situation de semi-liberté.
Cet imaginaire paraît aujourd’hui peu tangible, car nombreuses sont les barrières qui persistent. Ces dernières pourraient être levées en s’intéressant toujours plus à la réalité matérielle et à l’histoire sociale de la vie paysanne et du métier d’éleveur.euse, qui sont souvent méconnues voire fantasmées.
La réalité économique de l’élevage génère de la violence et des souffrances, pour les animaux comme pour les éleveur.euses. En se décentrant de la cause animale pour ajouter une couche sociale et économique à ses réflexions, l’antispécisme pourrait participer à générer des alternatives au système d’élevage actuel.
- La Confédération paysanne, syndicat pour une agriculture paysanne et la défense de ses travailleurs. (s. d.). Consulté 20 décembre 2024, à l’adresse https://www.confederationpaysanne.fr/gen_article.php?id=8&t=Qui%20sommes-nous%20
- FNSEA. (s. d.). MERCOSUR : Arnaud Rousseau, Président de la FNSEA, interpelle le Président de la République. fnsea.fr. Consulté 20 décembre 2024, à l’adresse https://www.fnsea.fr/communiques-de-presse/mercosur-arnaud-rousseau-president-de-la-fnsea-interpelle-le-president-de-la-republique/
- FNSEA. (s. d.). Réhomologation du glyphosate : La FNSEA salue une décision qui s’appuie sur la science et appelle le Gouvernement à la cohérence. fnsea.fr. Consulté 20 décembre 2024, à l’adresse https://www.fnsea.fr/communiques-de-presse/rehomologation-du-glyphosate-la-fnsea-salue-une-decision-qui-sappuie-sur-la-science-et-appelle-le-gouvernement-a-la-coherence-rehomologation-du-glyphosate/
- https://www.confederationpaysanne.fr/sites/1/articles/documents/PAROLES_PAYSANNES_confederationpaysanne-PRESSE.pdf
- Végétaliser défendre et sauver les animaux | Affaire Du Steak. (s. d.). L’Affaire du Steak. Consulté 20 décembre 2024, à l’adresse https://www.affairedusteak.com/les-animaux
- Végétaliser pour les humains. (s. d.). L’Affaire du Steak. Consulté 20 décembre 2024, à l’adresse https://www.affairedusteak.com/pour-les-humains
- interview avec Stéphane, professeur dans une Maison Familiale Rurale du Nord
- https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/Chd2316/cd2023-16_Rica_Europe_2021.pdf
- interview avec Stéphane, professeur dans une Maison Familiale Rurale du Nord
- Julien Malara (Réalisateur). (2020, juin 10). Un ancien ÉLEVEUR devient VÉGANE – Interview [Enregistrement vidéo]. https://www.youtube.com/watch?v=qaq-C6BFo0c