La répartition sur le territoire français des parcs éoliens, et donc de leurs nuisances, est très inégale. Elle soulève donc une question de justice spatiale et territoriale, et fait naître de nombreuses résistances, plus ou moins radicalement opposées à l’éolien. Des actions de cadrage de la puissance publique sont légitimement attendues sur ces sujets d’aménagement. Pourtant ce sont bien les promoteurs et aménageurs privés qui sont en position de force sur l’aménagement énergétique du territoire. Pour s’y opposer, le modèle encore balbutiant des coopératives se met en place.
Ce sont bien les promoteurs et aménageurs privés qui sont en position de force sur l’aménagement énergétique du territoire.
Les parcs éoliens rejouent les inégalités entre milieux urbains et ruraux
Parmi les controverses autour des éoliennes, le clivage entre villes et campagnes est très prégnant. Les décisions d’implantation d’éoliennes sont plutôt concentrées dans les préfecture, ou les grands centres urbains régionaux ou départementaux, rassemblant les acteurs décisifs du processus. Les élu.es locaux.ales ont peu de poids dans ces décisions, alors même qu’iels sont au plus proche du territoire en question. En effet, ce ne sont pas elleux qui autorisent l’implantation d’éoliennes mais bien la préfecture, située dans une des plus grandes villes du département. Pour François*, co-fondateur d’une fédération regroupant de nombreux collectifs contre l’éolien à travers la France, c’est une des preuves de la déconnexion des décideur.euses et du territoire. Selon lui, l’énergie éolienne est réclamée par des politiques citadin.es qui n’ont aucune idée de la réalité d’une éolienne sur un territoire. Ce serait donc une manière de reléguer dans les campagnes les nuisances que les villes se refusent à héberger. La population étant moins dense dans les territoires ruraux, les promoteurs de parcs éoliens affrontent également une moins grande résistance, d’où le besoin de se constituer en fédération.
L’inégale répartition des parcs éoliens et donc de leurs nuisances questionne l’injustice spatiale que créent ces aménagements. François prend pour exemple le cas de la Bretagne où le bâti est très épars. Les parcs éoliens se trouvent intercalés entre les villages, morcelant encore plus le paysage. Les attentes de rendement participent aussi de l’inégale répartition des parcs. Certains territoires connaissent des politiques ou des conditions physiques particulièrement favorables. On observe de fait un mouvement de concentration des parcs sur certains espaces en particulier. Autrement dit, plus il y a d’éoliennes dans certaines régions, plus il est susceptible d’en pousser d’autres dans les prochaines années, creusant encore avant les clivages.
Pour rééquilibrer cette « injustice » faite aux habitant.es locaux.ales et aux municipalités, des compensations financières sont souvent exigées, en plus des potentielles mesures compensatoires environnementales, lors de l’installation d’éoliennes. Elles sont destinées à améliorer le cadre de vie des habitant.es en payant des améliorations au sein de la commune, des services de proximité ou le travail d’associations locales. Pour une grande partie des habitant.es des territoires concernés, ces compensations ne sont pas suffisantes. Les nuisances qui accompagnent la production d’électricité éolienne sont nombreuses, de la perte de sommeil à cause du bruit à la défiguration du paysage de jour comme de nuit avec de nombreuses lumières scintillant à toute heure. La frustration des riverain.es est souvent exacerbée par l’entêtement des autorités qui refusent de tenir compte des nombreux avis consultatifs exigés par les études d’impact. Les considérations écologistes, paysagères et touristiques sont souvent balayées d’un revers de la main par les préfectures concernées, car les autres acteur.ices sollicité.es dans ces études n’ont qu’un avis consultatif et aucun pouvoir de décision sur le sujet.
L’aménagement du territoire est laissé aux capitaux privés
Pour pousser le pays vers la voie des énergies renouvelables, les gouvernements successifs ont souvent choisi de mettre en place des lois incitatives. C’est-à-dire que l’État n’oblige pas à implanter des éoliennes mais incite fortement à le faire via des subventions ou des avantages fiscaux. Au début des années 2000, S. Chataignier et A. Jobert ont travaillé sur les projets éoliens dans le Languedoc-Roussillon et ont relevé l’impression de chaos que l’implantation de parcs donnait aux riverain.es. Le constat actuel des opposant.es aux éoliennes est le même qu’à l’époque. Il n’existe pas de schéma général de planification au niveau national, et seulement un équivalent parcellaire au niveau régional. Les projets se développent sur les territoires au gré des opportunités, notamment foncières. Cela tient au fait qu’aucun acteur du territoire n’est perçu comme « l’aménageur », servant une vision générale de l’implantation et la production de ces éoliennes. Pour les personnes enquêtées par Chataignier et Jobert comme pour François, ce sont les promoteurs qui sont les réel.les décideur.euses de ces implantations. L’aménagement du territoire n’est donc plus une question publique ou démocratique, mais un fait soumis aux lois du marché et régi par des acteur.ices financier.ères.
En mars 2023, la loi d’accélération de la production des énergies renouvelable, l’APER, est promulguée. Elle vise à remplir les objectifs de production énergétique décarbonée que la France s’est fixée. Les communes et les collectivités territoriales sont au cœur de la mise en place de ces mesures. Ce sont elles qui doivent identifier sur leur territoire des zones dites « d’accélération », où l’implantation de projets comme des parcs éoliens est envisageable. Ces zones d’accélérations doivent être établies « en concertation » avec les populations locales. Cependant, les communes ne sont pas accompagnées dans ce processus, en particulier pour les aider à établir des concertations réellement efficaces. Les avis hors du conseil municipal ne sont que consultatifs, et ces propositions de zones sont ensuite étudiées au niveau départemental afin de lisser la répartition sur le territoire. Mais le principal objectif de cette loi n’est pas la concertation des populations locales. Elle permet avant tout de simplifier les démarches administratives pour accélérer les processus de création et de construction des projets dans ces zones. Ce sont en particulier les procédures « environnementales » qui sont visées par ces mesures de simplification. Autrement dit, les projets d’énergies renouvelables seront construits plus vite, au détriment du temps nécessaire à une véritable concertation ou encore à l’étude et à la protection des espaces naturels. Il est aussi à noter qu’il n’est possible pour une commune de désigner des zones « d’exclusion », où elle ne souhaite pas voir implanter de projets d’énergie « verte », que si elle a proposé assez de zones d’accélération. La pression énergétique continuera de s’exercer sur les territoires.
Les coopératives locales tentent de résister à l’aménagement privé du territoire
Céline Burger, maîtresse de conférences en aménagement et urbanisme qui a travaillé lors de son doctorat sur la question des éoliennes, y voit un phénomène de financiarisation des espaces ruraux. Elle écrit « La financiarisation est la nouvelle forme d’organisation des villes mais aussi du monde rural. Les acteurs financiers prennent une part de plus en plus importante dans les projets d’aménagement ce qui les rend acteurs de l’organisation territoriale. » Ce phénomène de mainmise des acteur.ices financier.ères sur les questions d’aménagement du territoire est bien connu dans les espaces urbains. La ville a été aménagée à coups de milliards par les promoteurs et autres bailleurs. Mais la chercheuse montre qu’aujourd’hui, ce mouvement de financiarisation se rejoue également dans les milieux ruraux, et notamment avec les projets d’éoliennes. François explique qu’il n’y a que trois décideur.euses pour ces projets : le promoteur, les investisseurs et la préfecture qui ne fait qu’apposer le coup de tampon final. C’est également ce qu’explique dans sa thèse Céline Burger, qui va plus loin en classifiant ces différents acteurs par leur rapport, et surtout leur éloignement du territoire concerné.
La capacité d’investissement s’oppose aux principes démocratiques de base en ce qu’elle est inégalement répartie et qu’elle ne fait que se concentrer. Certain.es habitant.es ont donc décidé de se réapproprier la question et d’insuffler un vent de démocratie dans la mise en place de ces parcs éoliens en se montant en coopératives. Il en existe quelques-unes en France, composées de riverain.es qui ont elleux-même investi dans le projet. Ces coopératives cherchent souvent à créer du consensus en menant des concertations et des études d’impact plus approfondies. Pour François, c’est de la poudre aux yeux. Selon lui, ces coopératives représentent encore une part minoritaire dans le paysage français, mais sont en plus largement dominées par des finances venues de grandes entreprises. Pourtant, ce sont les premières tentatives de gestion coopérative et citoyenne de projets pharaoniques, jusque-là gardés par les investisseurs et autres grands actionnaires. Elles posent les bases d’un nouveau modèle économique qui n’attend plus de l’État la solution juste et adaptée, et ne compte pas non plus laisser les capitaux privés diriger la partie. Malgré leurs efforts, les coopératives n’arrivent pas toujours à effacer les résistances. La coopérative d’Andilly-les-Marais portée par Enercoop par exemple, est citée dans la presse nationale comme exemplaire, qui met tout le monde d’accord. Pourtant localement, ce n’est pas tout à fait la même histoire. Les résistances existent et des riverain.es se sont même constitué.es en association. Pas opposé.es par principe à l’éolien, iels dénoncent malgré tout des malversations et l’appropriation imméritée du terme « citoyens ». Selon elleux, le projet n’a pas réellement réussi à consulter les riverain.es et est financièrement complètement inaccessible.
La transition énergétique, vue ici par le prisme de l’électricité éolienne, est donc intimement liée à l’aménagement énergétique du territoire, aux inégalités territoriales et à des pouvoirs publics en difficulté face à la puissance privée. Si les coopératives et une montée en puissance du public tentent de juguler les intérêts privés, il est intéressant de rappeler que la transition énergétique n’est pas une solution clé en main face aux crises climatiques. Notamment par ses nombreux impacts en matière de matériaux, de ressources et de consommation d’énergie. La production d’énergie d’origine renouvelable ne sera viable que si elle est accompagnée d’un bouleversement des modèles de société et des modes de vie que l’on connaît aujourd’hui.
*Le prénom a été modifié pour conserver son anonymat, et le nom de la fédération ne sera pas cité. Pour un peu plus de contexte, il est à noter que cette fédération regroupe surtout, selon les mots de François, des propriétaires qui défendent leur territoire, qui sont opposé.es à tout type d’éolien y compris coopératif et ne se revendiquent que rarement « écolos ». Iels mènent d’après lui un combat apolitique.
- Ministère de la Transition Ecologique, Données statistiques sur l’éolien au 1er trimestre 2023, mai 2023
- C. Burger, Les nouvelles formes de négociation du territoire pour une approche durable ? Le cas de la financiarisation de l’éolien, dans Les Cahiers du développement urbain, 2013
- S. Chataignier et A. Jobert. Des éoliennes dans le terroir. Enquête sur « l’inacceptabilité » de projets de centrales éolienne en Languedoc-Roussillon, dans Flux, 2003
- C. Hugh-Jones. Les éoliennes : vertes et vertueuses ? Terrain n°60, 2013
- Légifrance, Loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.
- Vie Publique, Loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, mars 2023.
- C. Guerre, Andilly-les-Marais : une partie des habitants opposés au projet citoyen dans SudOuest.fr, mai 2021.