Le 21 juillet dernier, le fondateur de Sea Sheperd Paul Watson est arrêté et incarcéré au Groenland dans le cadre de son combat contre la chasse à la baleine et la protection de la faune marine. Cette arrestation fait suite à plus de 10 ans de mandat d’arrêt déposé par le Japon auprès d’Interpol. Depuis, « pirate écolo », « défenseur des baleines », « héros des mers », et autres hyperboles pour décrire Watson inondent les médias mainstream et les plateformes sociales, tous.tes réuni.es derrière le slogan en apparence universel de #FreePaulWatson. Toutefois, en y regardant de plus près, Watson ne paraît pas si facilement défendable. De ses liens avérés avec les sphères d’extrême-droite, en passant par son malthusianisme assumé et le véritable culte de la personnalité qui lui est voué, la figure de Paul Watson devrait être plus clivante, notamment pour permettre aux actions militantes radicales de retrouver la place qu’elles méritent sur la scène médiatique.
[...] la figure de Paul Watson devrait être plus clivante, notamment pour permettre aux actions militantes radicales de retrouver la place qu’elles méritent sur la scène médiatique.
Le pseudo apolitisme de Watson cache un fond éco fascisant*
Paul Watson dans son discours, tend à présenter son engagement écologique comme apolitique. Pour lui, peu importe l’ancrage politique ou partisan de ses soutiens, camarades de luttes ou ami.es ; l’essentiel reste de soutenir la cause. De fait, l’entourage de Paul Watson est pour le moins réactionnaire. En France, le fondateur de Sea Sheperd est un ami de longue date de Brigitte Bardot [1], qui multiplie les prises de positions racistes, anti-immigration, et islamophobes, et a même déclaré sa flamme au FN. Ces dernières n’ont cependant pas entaché l’amitié entre Bardot et Watson.
En dehors de l’hexagone, Paul Watson se considère lui-même comme un disciple de David Foreman [1], malthusianiste et raciste notoire. Foreman a fondé l’organisation américaine Earth First! en 1980. Cette dernière est avant tout une organisation conservatrice, Foreman se présentant lui-même comme un « conservative conservationist », soit un conservateur (dans le sens de conservation naturelle) conservateur (dans le sens politique), ou défenseur de l’environnement conservateur. Considérant Sea Sheperd comme la branche marine d’EarthFirst!, Watson partage également avec Foreman son malthusianisme criant [2] ; soit la considération que la population mondiale devrait être régulée dans le but de mieux protéger l’environnement. Watson défend même une population mondiale à moins d’un milliard d’êtres humain.es [3]. Pour cela, Watson ne souhaiterait autoriser la reproduction « qu’aux personnes pouvant prouver leur capacité à subvenir financièrement et pédagogiquement aux besoins de leur progéniture » [5] – autrement dit, une reproduction réservée aux riches. Une des obsessions malthusianiste est donc l’immigration, et sa régulation, si ce n’est son arrêt total, la considérant comme « la seule responsable » [5] de l’augmentation de la population.
Ainsi, en déclarant son mouvement et son écologie comme apolitiques, Watson cache en réalité un fond raciste et classiste.
Culte de la personnalité et couverture médiatique de classe
Sea Sheperd, ou berger des mers, a été fondée en 1977 par Paul Watson lui-même, peu de temps après avoir quitté – ou été quitté par – Greenpeace. Ce divorce reposait sur un désaccord quant au mode d’action à utiliser et à la non-violence de l’ONG, mais également autour de la volonté de Paul Watson de se mettre constamment en avant [5].
De fait, le caractère fascisant de Watson se retrouve en partie dans un véritable culte de la personnalité que lui vouent à la fois les membres de son mouvement et nombre de médias mainstream [6] – culte qu’il apprécie entretenir. En effet, après Greenpeace, c’est de Sea Sheperd même que le « défenseur des baleines » est parti en 2022, principalement du fait d’un désaccord des branches nationales de Sea Sheperd (notamment américaine). Suite à ce départ, une nouvelle organisation voit le jour : la Captain Paul Watson Foundation, le présentant comme unique pionnier des mers [7].
En dehors de ses propres canaux, la couverture médiatique de Sea Sheperd et de Paul Watson n’a fait que s’intensifier depuis son arrestation de juillet 2024. Et les qualificatifs sont tous plus élogieux les uns que les autres, classant Watson au rang de héros. Du Monde à France Inter, la mise en avant de la forme des actions coup de poing de Sea Sheperd (abordage et éperonnage de baleiniers) ainsi que de la noblesse de l’engagement de Watson se font aux dépens de son fond idéologique [8]. Ces manquements peuvent entre autres s’expliquer par la distance qu’à la France avec la pêche à la baleine, rendant la cause facilement soutenable. Alors, le caractère chevaleresque de Paul Watson devient plaisant pour les élites françaises, enclines à soutenir ce « Robin des eaux ». Cette personnification jusqu’à l’héroïsation de la lutte est également alimentée sur les réseaux sociaux. Les posts et stories en soutien à Paul Watson et demandant sa libération des prisons danoises au Groenland sont constants. C’est notamment dans cette dynamique que s’inscrit le média en ligne Vakita, qui s’est fait le premier relais de l’évolution de la situation de Paul Watson. Publication de ses communiqués, mise en avant de ses avocat.es, récits de sa vie par des représentant.es de branches nationales de Sea Sheperd, appel au soutien des maires de France ; les formes sont diverses, mais la présence est constante.
Ces objets écologiques, siphonnés de leur substance politique empreinte d’anticapitalisme et de justice sociale, deviennent alors moins clivants et plus faciles à soutenir pour les classes dominantes, ne se sentant plus coupables d’être actrices principales de la domination et destruction de l’environnement et des plus pauvres. Soutenir Paul Watson, c’est cela. Conforter une écologie de classe, totalement déconnectée de la nécessité de penser les luttes comme des représentations concrètes d’une remise en question du système économique et de production dans lequel notre organisation sociale est intégrée.
Une visibilité des luttes à géométrie variable
La monopolisation de l’attention médiatique de ces luttes conciliantes car dépolitisées provoque logiquement un manque de couverture pour les luttes écologiques plus radicales avec un ancrage politique certain.
De fait, la période est significative de cette hiérarchisation des luttes. Quelques semaines après l’arrestation et l’incarcération de Paul Watson, les militant.es du projet A69 subissaient un incendie au sein de la ZAD les mettant en danger de mort, les assauts de forces de l’ordre toujours plus violentes, jusqu’à la chute de plusieurs écureuil.les d’un arbre occupé causant de sérieuses blessures et même l’ensevelissement de la maison et des arbres de la ZAD du verger pour en déloger les activistes [9]. Et cela dans un relatif silence de la part des médias mainstream et des réseaux sociaux. Il en va de même pour la couverture médiatique française du procès des militant.es britanniques de Just Stop Oil, ayant écopé de plusieurs années de prison pour avoir aspergé de soupe des tableaux protégés de plexiglas pour manifester leur opposition à l’utilisation et l’exploitation d’énergies fossiles [10]. Et des dispositions similaires ont été prises en Italie, où une loi a été votée cette année permettant de punir les « éco-vandal.es » tentant de « dégrader » des monuments pour des raisons écologiques de plus de 60 000€ et de prison [11].
Silence radio dans les médias mainstream face à ces atteintes claires à la liberté d’expression et au droit de manifester. Et répression tous azimuts sur le terrain. Violences physiques et symboliques pour l’écologie radicale, qui voit le leader charismatique de Sea Sheperd inonder les plateformes médiatiques malgré ses positions et soutiens d’extrême droite, alors que les militant.es radicaux.les en sont absent.es.
La dépolitisation de l’écologique fonctionne pour les médias dominants. Ajoutons à cela une personnalité adulée et conciliante. Et voilà une recette parfaite pour servir l’extrême droite et invisibiliser les luttes radicales.
*Le terme éco-fascisant se réfère à une personne ayant des tendances écofascistes. L’écofascisme désigne une idéologie qui combine des préoccupations environnementales avec des principes autoritaires et racistes. Il prône souvent des mesures radicales pour réduire la population humaine ou restreindre les libertés individuelles, en justifiant ces actions par la nécessité de préserver la nature. Ce terme est généralement utilisé pour critiquer des mouvements ou des individus qui adoptent des approches anti-humanistes sous couvert d’écologie. Pour mieux comprendre le phénomène, voir : https://reporterre.net/Enquete-sur-l-ecofascisme-comment-l-extreme-droite-veut-recuperer-l-ecologie
- Ducornetz, J. (2024, janvier 22). Paul Watson, une figure à double tranchant. Fragil – Magazine Nantais, culture et société. https://www.fragil.org/mutinerie-en-cours-le-fondateur-de-sea-shepherd-sexprime/
- ÉTATS-UNIS. L’immigration, pomme de discorde chez les écolos. (2004, mars 10). Courrier international. https://www.courrierinternational.com/article/2004/03/04/l-immigration-pomme-de-discorde-chez-les-ecolos
- Here come the new eco-fascists. (2019, août 22). The Spectator Australia. https://www.spectator.com.au/2019/08/here-come-the-new-eco-fascists/
- Two sides of populationism’s bad penny. (2014, janvier 28). Climate & Capitalism. https://climateandcapitalism.com/2014/01/27/two-sides-of-populationisms-bad-penny/
- Sea Shepherd ? Réactionnaire mon cher Watson—[ Demain Le Grand Soir]. (s. d.). Consulté 9 octobre 2024, à l’adresse https://demainlegrandsoir.org/spip.php?page=article&id_article=1473
- Paul Watson : Anatomie d’une icône écolo | Mediapart. (s. d.). Consulté 9 octobre 2024, à l’adresse https://www-mediapart-fr.bnf.idm.oclc.org/journal/ecologie/080924/paul-watson-anatomie-d-une-icone-ecolo
- About Us. (s. d.). Captain Paul Watson Foundation. Consulté 9 octobre 2024, à l’adresse https://www.paulwatsonfoundation.org/about/
- Ocean Defense NGO Sea Shepherd torn apart. (2023, février 14). https://www.lemonde.fr/en/environment/article/2023/02/14/ocean-defense-ngo-sea-shepherd-torn-apart_6015719_114.html & Capitaine Paul Watson, des cachalots au cachot : Épisode 0 du podcast L’actu. (s. d.). France Inter. Consulté 9 octobre 2024, à l’adresse https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-terre-au-carre/la-terre-au-carre-du-mardi-27-aout-2024-5945125
- Tarn et Lauragais. ZAD du Verger : C’est bientôt la fin. (s. d.). lejournaldici.com. Consulté 9 octobre 2024, à l’adresse https://www.lejournaldici.com/actualite-17456-tarn-et-lauragais-zad-du-verger-c-est-bientot-la-fin
- Just Stop Oil protesters jailed for throwing soup on Sunflowers. (s. d.). Consulté 9 octobre 2024, à l’adresse https://www.bbc.com/news/articles/cly7zy3d3exo
- Guida al ddl eco-vandali, che ora è legge. (2024, janvier 18). https://www.artribune.com/attualita/2024/01/eco-vandali-approvato-ddl/