Une bataille d’imaginaires et de récits fait rage, opposant des discours réactionnaires à des discours progressistes. Depuis peu, la pression de la classe dominante sur les récits écologistes s’est intensifiée, pour enrayer leur propagation. Si la fiction a saisi les crédos d’un « monde en lutte » ou d’un « monde meilleur » depuis longtemps, elle apparaît aujourd’hui comme un espace fertile et utile d’idées et de méthodes pour la lutte.
Des réflexions libérées de certaines contraintes
Le récit met à disposition des lecteur.rices un cadre de réflexion et d’appropriation des idées qui est libéré du poids de la réalité. Un récit peut donc alimenter certaines réflexions militantes, voire y apporter des éléments originaux. En ce sens, la fiction permet d’alimenter le bouillonnement des mouvements écologistes.
Plus spécifiquement, une fiction mettant en récit un imaginaire de lutte a la capacité de décrire des trajectoires de contestation inspirantes, en se focalisant sur des périodes de transition aboutissant à une société plus juste. Elle peut aussi offrir des éléments aux réflexions inhérentes aux mouvements de résistance. Le roman La zone du Dehors d’Alain Damasio questionne par exemple la place de la violence dans une révolte.
Le récit permet aussi de réinventer la notion et le rapport d’une société ou d’un groupe aux communs, et notamment au vivre ensemble. Un travail poussé de scénarisation et d’interactions entre personnages pourrait s’assimiler à une réelle expérience sociale. Un récit profond permettrait de se projeter dans des organisations collectives fictives mais vraisemblables, et ainsi questionner et réinventer notre rapport au temps, aux autres, à la Nature, aux objets, etc.
Crédit photo : Sarah Leveaux | @sarah.lvox
Un moyen de redonner de la place à l’individu
Quand certaines conceptions militantes encouragent le « sacrifice » de l’individu au profit de la cause, le récit remet au premier plan les réflexions personnelles et le vécu émotionnel et affectif. Par le prisme des personnages, l’intensité et la profondeur d’une expérience narrative peuvent influer autant qu’une expérience personnelle dans la construction d’une pensée. La fiction peut donc offrir aux lecteur.rices pour penser et éventuellement panser leur engagement militant.
De plus, l’Histoire montre que des figures incarnant un mouvement peuvent avoir une capacité de mobilisation. Ça a été le cas notamment avec Greta Thunberg chez les jeunes avec le mouvement Youth for Climate (ou Fridays for Future). Beaucoup plus facilement qu’en réalité, la fiction a le potentiel de faire émerger des figures qui pourront perdurer dans le temps et les imaginaires, car personnellement infaillibles et inattaquables.
Crédit photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Un imaginaire de lutte à secourir
Les discours réactionnaires se sont intensifiés et altèrent les images des militant.es écologistes, des militant.es politiques et des élu.es d’opposition (entre autres). Ces discours, cultivant l’anxiété et la tristesse, la peur de l’autre et du changement, la sacralisation de l’ordre et de la sécurité, participent à la dérive autoritaire de l’Etat français. Quoi qu’il en soit, les discours et figures d’opposition sont et seront attaqués, et fragilisés dans leur diffusion.
Il est donc essentiel de cultiver des imaginaires de lutte, sans tomber dans des imaginaires tentant de fuite. Certains récits présentent en effet des sociétés déjà établies ou des modes de vie alternatifs prétendument idéaux. En présentant un « après » sans aborder la phase de changements, notamment systémiques, ces imaginaires proposent donc une fuite plus qu’une solution. C’est typiquement le cas du colibri et du « faire sa part » de Pierre Rabhi (voir notre article sur le sujet : « le colibri, allié de la Macronie »).
Ainsi, une branche de fiction structurée et consacrée à la contestation et aux changements permettrait d’offrir des espaces de test pour les luttes, de plus en plus sous pression.
Sources :
- Socialter Hors série n°8 (03/2020) – “Le réveil des imaginaires”
L’IMAGINAIRE CAPITALISTE EST DEVENU RINGARD, IL SE FISSURE DE PARTOUT
Alain Damasio : « On a épuisé toutes les façons douces de faire les choses »