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“Code Rouge” : au cœur du blocage d’une des plus grandes raffineries d’Europe

“Code Rouge” : au cœur du blocage d’une des plus grandes raffineries d’Europe

Aurèle Castellane

Le cortège Code Rouge avance sur sa cible : le port de Anvers, octobre 2024, Anvers (BE)
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Total Energie a été une fois de plus la cible d’un mouvement de désobéissance civile : Code Rouge. Le week-end du 26 octobre, plus de 1000 personnes, selon les organisateur.ices, se sont retrouvées en Belgique pour mener plusieurs actions en parallèle contre le géant pétrolier. 

Deux de nos photoreporters étaient sur place à Anvers en Belgique pour couvrir le blocage de la plus grande raffinerie européenne du groupe [1]. 

S’installe alors un calme relatif durant lequel, militant.es et policiers, campent sur leur position.

Des militant.es avec des Armlocks entouré.es par la police belge, octobre 2024, Anvers (BE)
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

La veille de l’action, quelque part dans Bruxelles

La veille de l’action, les militant.es se retrouvent dans un espace à Bruxelles dont iels ont eu les coordonnées quelques heures auparavant. L’arrivée se fait au compte-goutte. Une fois tout le monde arrivé, le brief commence. Environ 90 personnes écoutent les consignes et le plan d’action, formant un groupe marqué par une remarquable diversité d’âge. Après environ 2 heures, avec une pleine connaissance du plan et de ses variantes, des groupes commencent à se former. Par “groupes affinitaires”, iels choisissent leurs rôles pour le lendemain en fonction de leurs appétences, des risques et de leur engagement. L’ambiance est rieuse entrainant une émulsion collective qui résonne dans l’arrière-salle. Une fois les rôles établis, chaque groupe s’auto-organise pour définir leur stratégie et tente, malgré les zones de flou qui persistent, d’anticiper ce qu’il pourrait se passer le lendemain. 

Des militant.es se tiennent par les épaules sur le trajet de l'action, octobre 2024, Anvers (BE)
Photo : Elio | @elio_j_

Le jour-J entre Bruxelles et Anvers 

Le soleil encore levant, les militant.es se rendent en petit groupe au point de rendez-vous donné la veille. 
Pour ne pas éveiller les soupçons, certain.es tentent de jouer les touristes, tandis que d’autres se font les plus discret.es possible malgré leurs sacs à dos qui détonnent dans le paysage. Les visages se reconnaissent et les clins d’œil fusent. 
L’heure est donnée, les groupes se dirigent vers des cars. Une ambiance de colonie de vacances s’installe entre les bavardages, les rires et les chants militants. Au milieu de tout ce bourdonnement, le son d’une flûte se faufile et finit par unir les voix dans un même chant mélodique. Les cars démarrent, il est 10h30. 

L’excitation monte dans le bus. Les militant.es dessinent sur leurs visages des traits de couleurs et des yeux noirs grands ouverts. Un militant nous donne leurs significations : 

“Ces yeux c’est pour dire qu’on sait où on va, et qu’on ne lâchera pas notre direction” 

Ensuite vient le tour des paillettes. Avec de la glu sur les doigts, ce n’est pas uniquement pour faire joli, mais c’est aussi un moyen de défense, lors de la prise des empreintes, face au fichage abusif des autorités. Parmi les militant.es, on peut entendre deux personnes se partager leurs ressentis : “Je suis excité.e” et à l’autre de dire : “Moi je suis flippée mais pas inquiète”.  Un mélange hétérogène d’émotions qui se vivent mais tous.tes semblent savoir pourquoi iels sont là. Puis nous sommes averti.es qu’il ne reste que quelques minutes avant d’arriver sur site. À ce moment-là, les combinaisons s’enfilent, les capuches et les masques se placent tandis que les derniers préparatifs se terminent. 

Le déploiement du blocage à travers les forces de l’ordre

Le bus s’arrête net. Une voiture de police entrave la route. Le chauffeur ouvre les portes et les militant.es se pressent pour sortir. Les deux policiers présents tentent d’en attraper certain.es, en vain. Le cortège avance en bloc sur une grande double voie. Perdu au milieu d’une zone industrielle, il se dirige droit sur sa cible : un des deux ponts modulaires, principaux accès à la raffinerie de Total Energie. Le tout sous un soleil déjà bien haut dans le ciel. Il est 11h30. 

Sur le trajet, des fourgons de la police locale et fédérale commencent à suivre le cortège. Puis une quinzaine de policiers équipés de matraques, de casques et de boucliers en osier sortent de deux fourgons et se mettent en ligne afin d’entraver la progression du cortège. Sans hésitation, les premières lignes de combinaisons passent entre les forces de l’ordre. Les coups de matraques pleuvent sur les militant.es. La police envoi du spray lacrymogène. Les voix masqué.es sonnent comme des appels à ne pas reculer et en quelques secondes la police est dépassée. 

Le passage de la marche à la course indique un déploiement imminent. 50 mètres de course pour dépasser les fourgons et installer le blocage. En une fraction de seconde, un premier tripode est installé sous les coups des matraques. Une fois une personne en haut – à environ 3m du sol – la police cesse les coups et recule, laissant ainsi le temps aux autres millitant.es de mettre en place le blocage à l’aide de armlocks.  

Banderole de tête " No new fossil infrastructure", octobre 2024, Anvers (BE)
Photo : Elio | @elio_j_
Des militant.es passent à travers une ligne de policier sous les gaz lacrymogènes, octobre 2024, Anvers (BE)
Photo : Elio | @elio_j_
Un militant perché en haut d'un tripod, octobre 2024, Anvers (BE)
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Un blocage en suspens 

S’installe alors un calme relatif durant lequel, militant.es et policiers, campent sur leur position. Des grimpeur.euses montent sur un lampadaire, une grande banderole “Total kills with the support of Port of Antwerp” – “Total tue avec le support du port d’Anvers” – est déployée et des slogans comme : “Total, Total, Assassin” sont scandés. 
Au bout d’une heure environ, les premières personnes sont arrêtées, trainées au sol ou les poignées enserrés avec des serflex. Elles sont mises dans des bus, direction Bruxelles. Certain.es résistent plus longtemps grâce aux armlocks et aux tripodes. 

Pour déloger les militant.es qui sont resté.es, la police utilise notamment des disqueuses pour couper un necklock (cadenas de vélo accroché autour d’un cou) ou les armlocks, dont les étincelles atterrissent directement sur les corps allongés autour. 

Après 5h de blocage qui ont impacté la raffinerie de TotalEnergies, ce sont plusieurs dizaines d’arrestations, dont celles de 3 journalistes (dont les deux d’Engrainage) et 2 Legal Observers [2]. Ces arrestations abusives constituent une atteinte grave à la liberté d’informer et de documenter. 

Base, débrief et petit-déj 

Les militant.es qui ont passé la nuit au commissariat se sont retrouvé.es dans un espace à Bruxelles pour prendre le petit-déjeuner ; un moment pour se ressourcer, récupérer leurs affaires et débriefer. En discutant autour d’un café, Martin* nous confie que c’était sa première action de DCNV, il nous dit aussi que

« avant l’action j’étais stressé mais à la sortie du bus mon stress a disparu. »

Malgré tout, il a envie de rentrer chez lui pour souffler un peu et retrouver sa fille.  

Port de Anvers avec ses raffineries, octobre 2024, Anvers (BE)
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth

Un reportage photo sur cette couverture d’action est à retrouver aussi sur notre compte Instagram

Sources

1.  https://totalenergies.com/fr/news/anvers-le-renouveau  

2. Les Legal Observers sont des bénévoles formé.es qui soutiennent les droits juridiques des activistes. Ils fournissent des conseils juridiques de base et sont des témoins indépendants du comportement de la police lors des manifestations. https://greenandblackcross.org/guides/what-is-a-legal-observer/  

*Nom modifié pour préserver l’anonymat