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Tandem public-privé pour une répression renforcée à l’A69

Tandem public-privé pour une répression renforcée à l’A69

Simon Brisard

Parpaings et caddy sur la ZAD de l’A69, mai 2024
Photo : Elio | @elio_j_

Le projet de l’A69 Castres-Toulouse réunit tous les ingrédients de la colère écologique qui gronde : mise en danger des opposant.es et violences à leur encontre, destruction du vivant, complicité avec les intérêts privés, rejet des multiples alertes. Cet entêtement capitaliste dévastateur témoigne du désintérêt de la puissance publique de la gestion des crises écologiques et la préservation des communs.

"La stratégie de répression est froide et brutale ; mêlant surveillance, pression psychologique et judiciaire, privation et mise en danger de la vie des militant.es."

Militant.e en repli lors de l’action « Ramdam sur le macadam », octobre 2023
Photo : Pierre Fimbel | @pyr_fbl

L’État policier profite de l’A69 pour parfaire des pratiques brutales et illégales

Depuis plusieurs semaines, alors que tous les regards sont tournés vers la constitution du gouvernement, la résistance au projet de l’A69 Castres-Toulouse subit des offensives brutales. Sur la ZAD du Verger, parcelle habitée et arborée que les aménageurs veulent raser à tout prix, les forces de l’ordre interviennent violemment pour déloger des militant.es, résigné.es à faire bloc.  

La stratégie de répression est froide et brutale ; mêlant surveillance, pression psychologique et judiciaire, privation et mise en danger de la vie des militant.es. Une partie des pratiques des forces de l’ordre entre pourtant dans le cadre des « traitements cruels, inhumains ou dégradants », définis par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme [1] et mis en avant par Michel Forst, rapporteur spécial aux Nations-Unies. 

Dans les arbres, la CNAMO, une unité « spécialisée dans le dégagement d’obstacles complexes » et composée de « six sous-officiers ultra-expérimentés » [2], a causé des chutes de plusieurs mètres. Depuis août, ce sont quatre écureuils, ces militant.es grimpeur.euses, qui ont été poussé.es à la chute par des interventions insensées, qui ne posent pourtant aucun problème aux autorités. Un d’entre elleux souffre de 6 fractures à la colonne vertébrale. Au sol, la présence des forces de l’ordre est quasi permanente et leurs interventions sont craintes à la hauteur de leur brutalité. Tout ce qui peut nuire à une vie décente et en sécurité dans les ZAD est entrepris. Les arrestations se sont enchaînées, les systèmes de sécurité des installations dans les arbres ont été détruits, les espaces de vie des militant.es saccagés [3].  

Le traitement de cette résistance à un grand projet inutile et destructeur confirme que la démocratie version Macron penche de plus en plus vers un État policier. 

Blindé des forces de l'ordre, juin 2024
Photo : Clément Lopez | @clementlopez.jpeg
Pancarte « Vous arrachez la vie, on la reprente » sur la ZAD de la Cal’Arbre, mai 2024
Photo : Clément Lopez | @clementlopez.jpeg
Scène de gazage des militant.es par les forces de l'ordre lors de l'action "A69 Roue Libre" des Soulèvements de la Terre
Photo : Elio | @elio_j

Des services publics se privatisent et qui lâchent l’intérêt commun

Au-delà de la violence causée par les services étatiques d’ordre et de répression, ce chantier nous permet de constater le désalignement entre les décideur.euses public.ques et l’ingénierie publique, censée les conseiller. En effet, les travaux des organismes publics de référence sur les questions environnementales, décrivant un projet destructeur et « anachronique au regard des enjeux et ambitions actuels » [4], n’ont cessé d’être passés sous silence. Que ce soit l’Autorité environnementale, le Conseil national de protection de la nature ou l’Office français de la biodiversité, leurs avis ont systématiquement été bafoués par les aménageurs, sans sanction de la part des services de l’État 

Dans les faits, l’action publique en matière de préservation des communs et du vivant semble donc verrouillée par les intérêts des groupes dirigeants, et durablement impactée par des années de mesures libérales. La conséquence directe est la désorganisation des services publics, qui se privatisent dans leurs manières de travailler, sous la houlette de cabinets de conseil [5].  

Socialement, l’imaginaire d’un capitalisme durable est ardemment défendu, et restreint la bifurcation écologique à des modifications à la marge de nos modalités d’organisation économique, dont le secteur privé serait fer de lance. Mais localement, cet imaginaire peut se confronter à la proximité avec une réalité locale, qui conteste ce paradigme capitaliste. Pour un projet comme l’A69, d’aménagement d’un territoire, continuer à veiller et peser sur l’action publique semble crucial et faire partie de l’arsenal de contestation, complémentaire aux autres moyens de transformation et de résistance que sont les mobilisations, les ZAD ou encore les actions de sabotage.

L’État s’éloigne de plus en plus de son devoir d’action écologique

Au-delà de l’exaspération que peut générer cette non-considération de la compétence publique en matière d’écologie, le projet de l’A69 met en avant les arrangements public-privé. On connaissait un État influencé par les grands patrons ou soutien financier de certains groupes [6], mais la collusion avec les aménageurs du projet (NGE et Atosca) dépasse les mécanismes habituels d’exonération, de subvention gracieuse ou de lobbying. Là-bas, les forces de l’ordre sont mises au service du privé et de ses intérêts, en relayant par exemple des agent.es de sécurité ultra-violents pour maintenir une pression permanente sur les militant.es. Des dizaines de gendarmes ont accompagné l’huissier venu déloger la famille occupant le Verger, laissée pour compte malgré des semaines de pression et des actes criminels à son encontre [7]. Les forces de l’ordre ont également empêché les derniers ravitaillements en nourriture et en eau du Verger, à coups de Taser [8].

Le contraste est saisissant entre le traitement d’une opposition fondée et celui des sociétés concessionnaires des autoroutes. Ces dernières continuent de percevoir des profits démesurés, sans être inquiétées, sur le dos des usager.es et d’un État concédant en bien mauvaise posture sur ce dossier [9]. La puissance publique a structurellement un potentiel de transformation de la société, pourtant elle pèse aujourd’hui de tout son poids pour freiner de réelles réflexions et changements. N’en déplaise à la Gauche institutionnelle et à une partie de la mouvance écologiste qui prônent la vision d’un Etat garant d’une bifurcation écologique nécessaire, plutôt que frein.

Sur le chantier de l’A69, la résistance résignée des militant.es s’oppose donc à un projet insensé, à un déni d’expertise publique, à une complicité poussée entre l’Etat et les aménageurs, et plus globalement, au système néo-libéral dans toute sa puissance. Cette lutte dépasse largement les quelques arbres abattus et les 50 kilomètres d’autoroute d’un réseau qui en fait plus de 21000 [10], mais porte une vraie dimension symbolique. 

Sources
  1. «Ecureuils» mobilisés contre lA69: Conclusions du rapporteur spécial de lONU. (s. d.). Consulté 24 septembre 2024, à l’adresse https://unric.org/fr/ecureuils-mobilises-contre-la69-conclusions-du-rapporteur-special-de-lonu/
  2. La CNAMO : une unité spécialisée dans le dégagement d’obstacles complexes—Gendinfo. (s. d.). Consulté 24 septembre 2024, à l’adresse https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/en-images/la-cnamo-une-unite-specialisee-dans-le-degagement-d-obstacles-complexes
  3. ZAD A69 | ATOSCA ACHÈTE LA VIOLENCE POUR ÉCRASER LES OPPOSITIONS Sur l’A69, la « sécurisation » des chantiers cache désormais les attaques ciblés… | Instagram. (s. d.). Consulté 24 septembre 2024, à l’adresse https://www.instagram.com/p/C_6AtBriWTw/?img_index=3
  4. https://www.igedd.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/221006_castres_toulouse_31_81_delibere_cle52cee7.pdf
  5. « Les infiltrés, comment les cabinets de conseil ont pris le contrôle de l’Etat », Matthieu Aron Caroline Michel-Aguirre, Allary Editions, 203 p.
  6. Correia, M. (2023, octobre 5). L’incroyable subvention de l’agence publique de l’écologie à TotalEnergies. Mediapart. https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/051023/l-incroyable-subvention-de-l-agence-publique-de-l-ecologie-totalenergies & table ronde « contre la privatisation du monde » à Agir pour le vivant 2024
  7. ZAD A69 sur Instagram: « RÉSISTANCE AU VERGER – JOUR 1 Retour sur ce premier jour et les manipulations choquants dATOSCA. » (2024a, septembre 17). Instagram. https://www.instagram.com/reel/DABWN_6Cx0o/
  8. ZAD A69 sur Instagram: « TASER CONTRE NOURRITURE » (2024b, septembre 22). Instagram. https://www.instagram.com/zad_a69/p/DANoGC5iS-O/
  9. Concessions d’autoroutes: Tout comprendre en 7 questions | vie-publique.fr. (2023, novembre 14). https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/291620-concessions-dautoroutes-tout-comprendre-en-7-questions & https://www.autorite-transports.fr/wp-content/uploads/2023/01/0431-22_art_rap-eco-grl-22.pdf & https://www.senat.fr/rap/r19-709-1/r19-709-1-syn.pdf
  10. durable, C. général au développement. (s. d.). Infrastructures de transport. Chiffres clés transports 2023. Consulté 24 septembre 2024, à l’adresse https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-transports-2023/34-infrastructures-de-transport.php