L’espace naturel est souvent considéré par les écologistes comme une ressource à utiliser avec parcimonie. Pour préserver la nature, il faudrait donc en limiter l’accès. Il existe en réalité deux écoles dans la protection de la nature. La conservation équivaut à une mise sous cloche de la nature, à laquelle on ne doit plus permettre un accès libre, et la préservation qui cherche plutôt un moyen de marier activités humaines respectueuses et environnement.
"Toute nature n’est pas bonne à protéger"
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Beaucoup d’espaces protégés observent un fonctionnement qui oscille entre les deux tendances, selon les zones concernées et les politiques appliquées localement. Considérant que ces initiatives ne suffisent plus, certaines associations décident aujourd’hui d’acheter des terrains pour s’assurer qu’ils restent naturels et vierges. L’acquisition foncière, quand elle se donne pour objectif de protéger la nature, présente pourtant quelques limites.
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Photo : Sarah Leveaux | @sarah.lvox
Préserver la nature est un choix politique
Toute nature n’est pas bonne à protéger. C’est ce que semble montrer les politiques de protection et d’aménagement du territoire. Les paysages exceptionnels sont souvent privilégiés quand il s’agit de choisir quelle nature il faut protéger ou non. Les espaces préservés figent ainsi une image de ce que devrait être la nature. Cette image n’est pas neutre, elle est le reflet d’une norme dominante, qui peut être appelée à évoluer avec le temps. Surtout, c’est placer à nouveau la décision de quelle nature est bonne entre les mains de l’espèce humaine.
Finalement, la nature ne s’enferme pas. Elle est un système complexe, un ensemble d’habitats et d’espèces interconnectés. Comment alors fixer une frontière, une coupure, entre ce qui est préserver et ne l’est pas ? Et comment ne pas voir que les parcs naturels ne sont pas suffisant pour protéger la nature dans son ensemble. La protéger ici n’empêche pas de la mettre en danger ailleurs. Les politiques de protection de la nature, quand elles sont pensées sur des territoires restreints et fermés, sont une manière pour la puissance publique de se dédouaner de penser une protection globale, à plus large échelle.
Il ne faut pas non plus oublier l’héritage colonial des pratiques de protection de la nature. Interdire l’accès de certaines terres à des populations doit interroger sur les conditions de ces restrictions. Bon nombre de parcs naturels ont ainsi été créés dans des colonies, lieux d’expérimentation des politiques d’aménagement du territoire. Ces parcs étaient une manière de délégitimer les usages autochtones de ces terres mais aussi d’en réserver l’accès aux colons. Ces mises en réserves privent souvent les populations locales d’un accès à leurs terres ancestrales.
Les conseil d’administration proposent aussi des candidat.es à la nomination du poste de directeur.rice d’école. Sans surprise, ces dernier.es sont souvent issu.es du monde industriel et y retournent après quelques mandats de direction.
Par exemple, le directeur de CentraleSupélec a travaillé chez Elf Exploration Production, comme «responsable géosciences d’un secteur offshore d’exploration intensive». Fortement financées par l’argent public, les écoles d’ingénieur en profitent donc pour perpétuer un système économique mortifère.
"Il ne faut pas non plus oublier l’héritage colonial des pratiques de protection de la nature."
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
La course folle à l’acquisition foncière
Des associations et des fonds privés décident d’aller plus loin encore que les parcs naturels. Ces organisations prônent la libre-évolution. C’est l’idée de laisser la nature se développer sans aucune intervention humaine. Iels achètent donc des terres pour en interdire l’accès à toustes. La nature finit par revenir à un stade « primaire » dans ces écrins protégés. C’est comme si les humain.es n’avaient jamais pénétré sur le territoire.
Reprendre les terres en les achetant, c’est espérer pouvoir acquérir plus de terres et plus vite que les grandes entreprises capitalistes. L’outil principal de cette reconquête devient donc l’argent, et son pendant la propriété privée. Finalement, c’est jouer le jeu de l’ennemi, et en suivre les règles.
L’acquisition foncière est une pratique assez répandue en France pour protéger la nature. Et les associations ne sont pas les seules à en faire usage. La puissance publique par exemple a aussi recours à cette méthode. On peut prendre l’exemple du Conservatoire du Littoral qui a alloué 15 millions d’euros à l’achat de terres en 2022. Via différentes structures, l’État devient propriétaire et gestionnaire de certains espaces dans un objectif de préservation.
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Penser les communs
Les terres et leur gestion sont un enjeu primordial pour faire advenir le monde de demain. Privatiser des espaces entraîne des confrontations d’usages, et donc des crispations. Pour certain.es les terres reprises pourraient en effet servir à installer de nouveaux.elles paysan.nes. Pour d’autres encore, il paraît urgent de réapprendre à cohabiter en harmonie avec le reste du Vivant. Enfermer la nature nous couperait au contraire de notre environnement.
Plutôt que de privatiser la terre et son usage, certain.es prônent donc une mise en commun des espaces et de leur gestion. Cela revient à occuper des espaces et les « reprendre » sans recourir à l’acquisition foncière privée. Il est également possible de s’organiser pour reprendre les terres et les gérer en synergie pour faire cohabiter sur un même espace différents usages, tous respectueux de l’environnement. Ce sont des initiatives inspirantes comme celles développées sur le Plateau du Larzac qui permettent la création de nouveaux imaginaires.
Nos sources
Ferdinand, M. (s. d.). Une écologie décoloniale : Penser l’écologie depuis le monde caribéen.
Rapport d’activité national du Conservatoire du Littoral 2022. (s. d.). calameo.com. https://www.calameo.com/read/004976202d7206bb8e1d8