Le concept de pureté militante fait débat. Le plus souvent, il renvoie à une injonction à maintenir une ligne de conduite irréprochable au sein de groupes militants, souvent basée sur des normes de langage et de comportement. Un concept flou derrière lequel on retrouve de nombreux mécanismes sociaux comme des dynamiques de domination, d’exclusion ou encore d’individualisation des luttes. En parallèle, la pureté militante est aussi instrumentalisée. Elle est effectivement utilisée comme défense par les personnes accusées de comportements ou d’actions oppressives en affirmant que les critiques reçues s’assimilent à de la pureté militante. Ce qui induit notamment une certaine silenciation de la critique politique. Le manque de définition claire autour de ce terme empêche de nommer précisément les problématiques et de s’en saisir concrètement. Ce flou laisse place aussi à des abus d’utilisation voire de l’instrumentalisation.
Le manque de définition claire autour de [la pureté militante] empêche de nommer précisément les problématiques et de s’en saisir concrètement.

Photo : Clément Lopez | @clementlopez.jpeg
La pureté militante permet de se déresponsabiliser individuellement
Le concept de pureté militante peut être instrumentalisé pour justifier des comportements ou des actions problématiques. Par exemple quand une personne est accusée de tenir des propos racistes ou des blagues misogynes au sein d’un groupe militant, elle peut tenter d’éviter la remise en question en expliquant que la critique reçue est simplement de la pureté militante. En utilisant par exemple l’expression réactionnaire “on ne peut plus rien dire”.
Réduire toute critique politique à de la pureté militante permet donc d’éviter une remise en question et de maintenir un certain “statu quo militant”. Une situation qui ne permet pas de se saisir collectivement du problème et de le résoudre.
Le podcast « Plus radical que moi tu meurs » de Radio France donne deux exemples médiatiques particulièrement parlant. Le premier concerne l’actrice Marina Foïs, qui a joué dans le fim « Enorme » en 2019, qui met en scène un couple dans lequel le mari veut à tout pris un enfant, au point de trafiquer les pilules contraceptives de sa femme. Un film qui constitue une entrave à l’IVG et qui, sans surprise, a fait polémique. Pourtant, le journaliste de Radio France parle d’une “accusation inique, qui confond un rôle de cinéma et une prise de position” et de “concours de pureté militante” [1].
Mais ici on ne parle pas d’un simple élément de langage ou d’un comportement problématique ponctuel qui pourrait tomber dans une approche performative de la lutte. Il s’agit d’un film qui, en une semaine, a fait 60 000 entrées. Marina Foïs est une figure médiatique de premier plan dont les propos ont une portée et une influence conséquente.

Photo : Pierre Fimbel | @pyr_fbl
Dans ce même podcast, le journaliste s’étonne des reproches faits par Philippe Poutou au maire de Bordeaux, concernant son salaire mensuel brut de 3 600 €. En conseil municipal, Poutou avait qualifié cette somme d’ “assez énorme”. Mais une question demeure : depuis quand dans un podcast qui se définit comme un billet politique on s’étonne de la critique politique ?
Certains individus en raison de leur influence, leur pouvoir ou leur position, pèsent plus que d’autres sur l’opinion publique, et il est logique qu’ils soient plus fréquemment soumis à la critique politique. Le fait que cette critique vise un individu et ses actions ne signifie pas automatiquement qu’elle relève de la pureté militante.

Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Derrière la pureté militante se trouve des mécanismes complexes, violents et contreproductifs
Bien que souvent assimilée à une forme de radicalité, la pureté militante se concentre en réalité uniquement sur des changements individuels sans approche systémique. Elle s’articule principalement autour de l’individu aux dépens d’une stratégie politique concrète et pertinente.
Le concept de pureté militante est surtout utilisé par les personnes qui ont le capital militant, mais aussi social et culturel, le plus élevé. Par exemple, connaître du vocabulaire spécifique aux espaces militants (un.e toto, black block, tonfa, SO, 1312, etc.), des codes de communications autoproclamés non-violents, ou alors avoir un savoir relatif à l’histoire des luttes. Ce capital permet d’alimenter des dynamiques de domination et de hiérarchisation des individus, des enjeux de lutte, etc. Cela alimente également des dynamiques d’exclusion au sein des groupes militants.
Parfois on retrouve aussi derrière le concept de pureté militante de la frustration ou de la colère mal dirigée contre ceux et celles qui partagent la lutte, plutôt que de cibler les véritables responsables.
En résumé, derrière le concept de pureté militante se jouent donc de nombreux mécanismes sociaux complexes. Il semble donc nécessaire de nommer ces mécanismes tels qu’ils sont sans les englober dans un concept flou et généralisant alimentant la confusion et silenciant la critique politique à gauche. Définir précisément ce qui se joue au sein de cercles militants permet de s’en saisir concrètement et éviter toute instrumentalisation.

Photo : Elio | @elio_j
La critique politique reste essentielle
Si la notion de pureté militante permet de mettre en lumière des mécanismes contreproductifs et violents au sein des groupes militants, l’(auto) critique politique semble avoir cruellement manqué, notamment dans les luttes écologiques.
Un exemple marquant est celui des ONG environnementales, comme Greenpeace ou le WWF, qui ont politiquement manqué d’autocritique et de critique extérieure, malgré des décennies d’engagement et une expérience considérable. Pourtant, leur ligne politique a très peu évolué au fil du temps et l’impact de ces structures mérite d’être questionné et critiqué.
La critique politique ne se limite pas à devenir un.e meilleur.e militant.e de manière individuelle, elle a pour objectif d’alimenter une démarche réflexive sur les stratégies politiques adoptées collectivement et de réduire les comportements violents ou oppressifs. C’est aussi une façon de travailler sur l’inclusivité des espaces militants, d’essayer de mettre en œuvre concrètement une ligne politique en accord avec la lutte contre tous les rapports de domination, d’intégrer une approche de soin et de justice restaurative, etc. La critique politique permet de faire de ces espaces de lutte des endroits inclusifs, accueillants, sans perdre en radicalité.
Si elle est inconfortable à accueillir, la critique politique semble aussi impérative pour développer des approches militantes et politiques pertinentes.

Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
- Plus radical que moi, tu meurs ! (2020a, septembre 7). France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-billet-politique/plus-radical-que-moi-tu-meurs-3352584