Le 21 septembre à Marseille, le collectif Stop Croisières a mené une action contre les bateaux de croisière, ces géants des mers pour riches [1]. Le mode d’action, déjà éprouvé il y a deux ans, avait marqué les esprits : kayaks contre paquebots. David contre Goliath. Cette fois pourtant, l’action n’a pas connu le même engouement médiatique. On peut lire ce constat à travers un prisme plus vaste : afficher notre vulnérabilité face à la machine capitaliste, infernale et destructrice n’est plus suffisant. Les mouvements de résistance et de contestation sont donc contraints de revoir leur positionnement, leur stratégie et les récits sur lesquels ils s’appuient.
[...] afficher notre vulnérabilité face à la machine capitaliste, infernale et destructrice n’est plus suffisant.
Photo : Pierre Fimbel | @pyr_fbl
La vulnérabilité militante ne convainc plus
Cette nouvelle action de Stop Croisières a connu un moindre retentissement médiatique que la première version. La mise en scène est pourtant la même, et la méthode s’est avérée efficace sur le terrain puisque les activistes ont retardé l’arrivée des trois paquebots qui devaient débarquer au port de Marseille ce jour-là. Il est étonnant de constater la différence de traitement – ou ici de non-traitement – d’un même mode d’action. Un coup d’éclat médiatique ne suffit pas à garantir une couverture régulière d’une lutte par la presse. Le cas de l’A69 en est un exemple parlant. Les derniers évènements extrêmement violents qu’ont subi les activistes et zadistes, comme les chutes de plusieurs mètres de nombreux écureuils, n’ont pas beaucoup attiré l’attention en dehors des milieux militants [2]. Ces actes sont pourtant horrifiants.
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Photo : Pierre Fimbel | @pyr_fbl
Dans le registre judiciaire, même constat. Les militant.es écolos ne sont plus vu.es comme inoffensif.ves, mais traité.es comme de véritables menaces. En Angleterre, le mouvement Just Stop Oil vient une nouvelle fois d’essuyer les foudres des juges, écopant de peines de prison ferme pour des jets de soupe sur les vitres de tableaux, des dégradations pourtant mineures [3]. Mener un combat pour une cause juste avec des moyens dérisoires, voire aucun autre moyen que soi-même, ne suffit plus à gagner la sympathie de l’opinion publique. Au contraire, les puissant.es n’ont aujourd’hui plus aucun scrupule à profiter de la faiblesse de leurs adversaires pour protéger leurs intérêts.
La mise en scène de la vulnérabilité dans les luttes écologistes devient aujourd’hui de moins en moins appétant pour les médias. Le durcissement de la répression et du système judiciaire, constaté suite aux récentes manifestations et actions, a rendu désuet les récits des inoffensif.ves défenseur.euses de l’environnement ou des droits humains. La sphère médiatique en regorge désormais, et elle semble décidée à passer à autre chose.
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
La banalisation d’un combat à armes inégales
Puiser dans les mythes et les images partagées est une méthode de communication répandue. Elle permet d’en dire beaucoup en peu de mots, ou peu d’images, car elle convoque des imaginaires communs. Sur une des banderoles de l’action de Marseille contre les bateaux de croisière, on lit « David contre Goliath ». Cette référence culturelle est très souvent employée par les militant.es écologistes ou les commentateur.ices de ces luttes [4]. L’histoire biblique du petit, du faible, parvenant à terrasser le géant à coup de lance-pierre. Si c’est le plus faible qui gagne, c’est parce qu’il est du bon côté de l’histoire et que son combat est juste. Pour le cas de l’action de Stop Croisières, c’est aussi ce récit qui rend la tactique efficace. Les bons et les méchants sont facilement identifiables. Les militant.es écolos contre les gigantesques paquebots de croisière, qui baladent les riches et les très riches à travers les mers au prix de la santé et de l’environnement de toustes [5].
La banalisation médiatique de l’écrasement par les puissant.es évoqué plus haut a vidé de son sensationnalisme l’image de David contre Goliath. Faire barrage avec son corps, résister pacifiquement face à des forces de l’ordre suréquipées, s’enchaîner à d’énormes machines, lutter contre l’inéluctable marche du monde : la fragilité et la vulnérabilité sont souvent mises en avant face à des engins d’exploitation que rien n’arrête. Le combat contre l’A69 a beaucoup reposé sur ces ressorts médiatiques. La grève de la faim, au-delà de l’engagement extrême dont elle témoigne, est une manière de mettre en avant sa fragilité et de s’en servir pour faire réagir politiquement. Contre celleux qui ont tout et tentent d’imposer leurs visions, leurs projets inutiles, les militant.es opposent le peu qu’iels ont, leur propre vie.
Photo : Clément Lopez | @clementlopez.jpeg
Photo : Aurèle Castellane | @broth_earth
Photo : Clément Lopez | @clementlopez.jpeg
Reprendre des forces et diversifier les récits
L’accumulation de poursuites judiciaires et les déboires politiques actuels ont pour conséquence de sérieusement fatiguer voire décourager les militant.es, et de freiner les initiatives. De nouveaux modes de fonctionnement et de soutien aux personnes concernées par des suites judiciaires éclosent. Une plus forte attention est prêtée aux conséquences psychologiques, au soin et à l’anti-répression. Les vagues de répression, mais aussi de mobilisations intenses de ces deux dernières années ont remis à jour l’importance d’un travail sur la durée, et d’un engagement de longue haleine. L’heure semble être à l’analyse politique et stratégique mais aussi au soin [6]. Les acteur.ices de mobilisations citoyennes reprennent désormais des forces, pour combattre l’extrême-droite, les puissances coloniales et le système capitaliste dominant qui écrasent tout sur leur passage.
Face à l’épuisement du ressort de la vulnérabilité dans la sphère médiatique, de nouveaux possibles s’ouvrent. Pour sortir de l’ancien schéma, certain.es inventent de nouvelles manières de lutter ou d’autres images à diffuser. La vision d’une écologie plus offensive prend par exemple de l’ampleur. De Comment saboter un pipeline d’Andreas Malm à la multiplication de petits groupes d’actions commando s’en prenant directement aux machines ou aux terrains de golf, il se pourrait que le combat écologiste rentre dans une ère plus vindicative, alimentée par la colère de celleux qui n’ont plus rien à perdre.
Photo : Elio | @elio_j
- Stop Croisières, 22 sept. 2024, A Marseille, le grand port maritime bloqué par Stop Croisières et Extinction Rebellion lors des Journées Européennes du Patrimoine. https://stop-croisieres.org/a-marseille-le-grand-port-maritime-bloque-par-stop-croisieres-et-extinction-rebellion-lors-des-journees-europeennes-du-patrimoine/
- Carrette, J. 23 sept. 2024, A69 : les derniers « écureuils » résistent, pour combien de temps encore ? Reporterre, le Média de L’écologie – Indépendant et En Accès Libre. https://reporterre.net/A69-les-derniers-ecureuils-resistent-pour-combien-de-temps-encore
- Reporterre. 30 sept. 2024, Jets de soupe sur un Van Gogh : de la prison ferme au Royaume-Uni. Reporterre, le Média de L’écologie – Indépendant et En Accès Libre. https://reporterre.net/Jets-de-soupe-sur-un-Van-Gogh-de-la-prison-ferme-au-Royaume-Uni
- Terre de lutte, nov. 2021, Les David s’organisent contre Goliath, https://terresdeluttes.fr/wp-content/uploads/2021/12/Etude-Les-Davids-sorganisent-contre-Goliath.pdf
- Stop Croisières, 22 mars 2024. Argumentaire, https://stop-croisieres.org/argumentaire/
- Dejean, M. 15 ept. 2024. Face aux turpitudes du Nouveau Front populaire, l’impatience lucide de la gauche militante. Mediapart. https://www.mediapart.fr/journal/politique/150924/face-aux-turpitudes-du-nouveau-front-populaire-l-impatience-lucide-de-la-gauche-militante